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Posted on 9 janvier 2005 in Vins suisses

Vaud — Entre Plant-Robert et Servagnin

Vaud — Entre Plant-Robert et Servagnin

Rouge, la renaissance vaudoise
Entre Plant-Robert et Servagnin
Après le Servagnin de Morges, le Plant Robert de Lavaux. Des vignerons remettent au goût du jour de vieux cépages, de la vigne à la cave. Et vont jusqu'au bout d'une démarche de qualité. Il leur a fallu trois ans pour obtenir la certification de la démarche, du plant de vigne à la dégustation (lire ci-dessous, à la fin, l'addenda du 6 novembre 2007).
Par Pierre Thomas
L'hymne vaudois chante l'amour des lois. Il suffit que trois vignerons s'attablent dans un carnotzet pour que naisse une association. C'est si vrai que les vignerons de Cully et environs qui défendent le Plant-Robert se nomment les «3 R». L'allusion vise, au surplus, le triple nom sous lequel est connu, depuis un peu plus d'un siècle, ce cépage propre à Lavaux: Plant Robert, Plant Robaz ou Plant Robé. Comme l'avaient fait trois avant les vignerons de l'appellation de Morges (l'APAMO) avec le Servagnin, marque commerciale déposée, Henri Chollet, d'Aran-Villette, Blaise Duboux, d'Epesses, et Jean-François Potterat, de Cully entendent défendre un savoir-faire.
Un raisin certifié
Car il s'agit bien d'une renaissance d'un cépage, même s'il ne s'agit «que» d'une sélection de gamay, dont on ne connaît l'origine avec certitude. Il en reste aujourd'hui 3 hectares à tout casser, chez une dizaine de vignerons. «On espère bien qu'il s'en plantera ces prochaines années!», lance Jean-François Potterat. Ces rénovateurs ont ainsi choisi sept parcelles dites mères dignes d'engendrer le «vrai» Plant Robert, obtenu par sélection massale. Tout vigneron qui aspire à rejoindre l'association, et bénéficier du label 3 R, dûment déposé, devra s'approvisionner chez le seul pépiniériste qui dispose de ce matériel viticole. Le rayon de plantation est limité à Lavaux, de Pully au Château de Chillon (829 ha). Le cahier des charges énumère des contraintes: respect d'un minimum d'écologie, contrôle des parcelles, taille courte sur cordon permanent, haute densité de plantation de 7500 pieds par ha, rendement limité à 1 kg par m2, sondage du moût à 85° Oechslé, mise en marché le 1er septembre de l'année suivant les vendanges, dans une bouteille à bouchon de liège. La démarche, répertoriée point par point dans un manuel de contrôle, sera vérifiée par l'Organisme intercantonal de certification (OIC), à Lausanne.
Elevé ou bien élevé?
Mais pas de consigne de vinification: «A partir d'une matière première qu'on veut la meilleure possible, il n'y a pas qu'une école!», explique Henri Chollet, dont le Plant Robert (6000 bouteilles l'an) figure déjà parmi les meilleurs vins vaudois. Un rouge original, poivré, un peu rustique, mais domestiqué par quelques mois de fût… A Morges, pour le Servagnin, Raoul Cruchon a prôné d'entrée de jeu un élevage en bois de neuf mois au moins et une mise sur le marché l'année suivante. A la dégustation d'agrément, c'est bien la maîtrise du bois qui a posé problème, sur le millésime 2000: «Mais le 2001 a permis de rectifier plusieurs erreurs d'élevage en barriques».
Entre Servagnin et Plant Robert, il y a des différences, même si la philosophie reste la même. A Morges, il s'agissait aussi de sauver un cépage, une sélection de pinot noir, attestée depuis des siècles, et dont il ne restait qu'un pied de vigne, à Saint-Prex. Mais si, à Lavaux, le label sera intégré à l'étiquette ou à la contre-étiquette, à Morges, où toute la démarche est basée sur l'autocontrôle par les vignerons eux-mêmes, l'étiquette de tous les Servagnins est identique. Les vignerons fixent même un prix-plancher: 18 francs la bouteille.
Une bonne affaire
Du 2000, sept producteurs ont vendu 15'000 bouteilles de Servagnin; du 2001, ils seront une bonne douzaine à en proposer 20'000 bouteilles. Trois «gros» producteurs se sont intéressés à la démarche: Bolle, la cave coopérative Cidis et Cruchon. «Je pourrais en faire plus que mes 7000 bouteilles. Je manque de matièrepremière. En trois mois, mon Servagnin 2000 a été épuisé», témoigne Raoul Cruchon, qui, parallèlement, commercialise depuis dix ans un autre rouge, «Le Roquentin», tiré lui aussi de Servagnin… Car ce sont les vignerons qui cultivaient dans leur coin une «curiosité» qui sont à l'origine d'une démarche élargie. Besoin de reconnaissance? Le vigneron vaudois n'aime pas avoir raison tout seul. Voilà pourquoi, quand ils sont trois dans un carnotzet, ils ne peuvent s'empêcher de fonder une association…

Eclairage(s)
A chaque village son cépage?

Curieux qu'au moment où le Pays de Vaud se lance dans une vaste étude de l'adéquation sol-cépage (verdict: 2010), des francs-tireurs font la promotion d'un vin original. Les Australiens, les Chiliens, les Américains, tout occupés à inonder le marché de vins alignés-couverts sur le cabernet-sauvignon ou le merlot, ne comprendraient pas… Les vignerons vaudois, eux, savent que leur seul salut réside dans le marché de niche. Du reste, le grand commerce préférerait les voir cultiver du pinot noir ou du gamay, voire du gamaret, ce nouveau cépage suisse, fruit du croisement entre le gamay et le reichensteiner. Il a été désigné cépage d'essai numéro un, en rouge, pour tout le vignoble vaudois. Mais certains reprochent au gamaret de ne pas livrer d'émotions, d'être techniquement irréprochable, sans histoire — sinon l'attrait de la nouveauté! —, ni réelle ampleur. En «isolant» une forme locale de pinot noir et de gamay, les vignerons de Morges et de Lavaux s'aventurent en terrain connu. Sur des bases gustatives admises, ils peuvent démontrer en quoi leur vin se distingue. Pas bête, c'est sûr! Et si, en plus, ça marche commercialement…
Article paru dans Al Dente/L'Illustré en juin 2003

2006, premier millésime
certifié pour le Plant-Robert
L'entreprise a pris plus de temps que prévu: finalement, c'est le 6 novembre 2007 que le premier millésime de ce vin rouge propre à Lavaux, le 2006, muni d'une bande authentifiée passant par-dessus le bouchon (comme pour le Chianti Classico), a été présenté à Cully, par Jean-François Potterat, président de l'Association des producteurs de Plant-Robert, vigneron-encaveur et syndic du lieu.
Hormis la Commune de Cully (qui met en bouteille son vin plus tard dans l'année), sept producteurs présentaient leurs bouteilles, acceptées par la commission de dégustation mise en place par l'Organisme intercantonal de certification (OIC) — une commission de sept membres, présidée par Evelyne Kunkler, de Riex, qui travaille avec la fiche de dégustation de l'Union suisse des oenologues, et fixe la barre de l'agrément à 80 points sur 100.
En 2007, l'Association compte 18 membres qui cultivent 37'000 m2 (moins de 4 ha) à Lavaux (850 ha). La démarche de certification, dès l'achat des greffons chez un pépiniériste agréé, garantit la «traçabilité» du vin. La dégustation a lieu après la mise en bouteille: entre la vigne (un kilo au mètre carré) et la mise en bouteille, pas de consigne formelle: «Nous n'avons pas souhaité un processus de vinification. Le vigneron est libre d'y aller de sa patte, de s'exprimer», confirme Blaise Duboux. Toutefois, la commission de dégustation tient compte d'une certaine «homogénéité» du millésime. Les sept 2006 mis sur le marché représentent 15'000 bouteilles. A terme, une vingtaine de producteurs pourraient, dans les cinq ans à venir, faire tripler ce volume, guère davantage…
Parmi ces 2006,  j'ai apprécié le Clos de Nant (qui a passé l'agrément de la «bouteille Chardonne»), vinifié par Henri et Vincent Chollet,  d'une agréable complexité,  d'un bon volume, où se mêlent déjà quelques notes de cuir, un peu plus long que leur «traditionnel» Plant-Robert d'Aran-Villette, typé noyau de cerise, fruité et frais. Le même duo père et fils vinifie aussi le vin de la commune de Corcelles-près-Payerne, dans la même ligne, prometteur, malgré de très jeunes vignes.
Belle matière que celle du vin de Jean-Daniel Porta, à Aran-Villette, avec une typicité de cerise noire charnue, des arômes qu'on retrouvait dans le Plant-Robert Réserve de la Commune de Cully 2000 et, surtout, 2003, vinifiés par les Frères Dubois de Cully. Le vin de Blaise Duboux se démarque de cette ligne, par une vinification qui avantage les fruits macérés et des arômes de surmaturation, avec une finale sur l'«amarena», la cerise noire confite…
Les vins de Patrick Fonjallaz, à Epesses, et de Jean-François Potterat, à Cully, sont manifestement de jeunes vignes. Une chose est sûre: le Plant-Robert, par ces sept exemples, garde un profil à l'acidité fraîche qui le rapproche davantage de cépages rustiques comme la mondeuse lémanique ou le cornalin valaisan, voire de la Vallée d'Aoste, plutôt que d'un gamay comme on en fait aujourd'hui de Genève au Valais, très extrait, épicé, aux tanins soyeux. Ainsi se démarque ce «vieux gamay de Lavaux», que des exigences strictes dès la plantation pourraient faire évoluer, à l'avenir, vers une sous-variété aux caractéristiques propres, conservées grâce à une multiplication contrôlée.
©Pierre Thomas, 06.11.07