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Posted on 31 décembre 2006 in Tendance

Comment mettre le client en bouteille?

Comment mettre le client en bouteille?

Tendances 2007
Mettre le client en flacon
Avec des si, on pourrait mettre Paris en bouteille, dit-on. Et si les vins se modifiaient au gré des attentes du consommateur? A Bordeaux, fin novembre, des spécialistes en ont débattu, à Mondiaviti, un congrès d'oenologues.
Par Pierre Thomas
Le monde du vin se partage en deux. D’un côté, les marchés producteurs (mais aussi exportateurs) où le vin est en déclin, comme la France, l’Italie, l’Espagne, et plus modestement, la Suisse. De l’autre, des marchés importateurs (mais parfois producteurs) où la consommation de vin progresse, comme l’Angleterre, les Etats-Unis, le Canada et l’Europe du Nord. Entre l’ancien monde, qui tournait en quasi-autarcie, avec des goûts du consommateur supposés connus, chauvins ou cadenassés par le protectionnisme (la Suisse livrée à son chasselas!), et le nouveau, libre de toute contrainte, comment «plaire à tout le monde» ? Les spécialistes tombent d’accord : impossible!
Aller vers le consommateur

Ainsi pour le conseiller en œnologie australien Richard Gibson, «il y a de nombreux groupes de consommateurs, très différents et sur des marchés tout aussi nombreux et aussi différents.» C’est plutôt une bonne nouvelle, qui encourage la diversité. Toutefois, on sait que «les nouveaux consommateurs préfèrent des styles de vin différents que les consommateurs expérimentés.» Si la première analyse encourage le producteur à «produire son vin et à trouver ensuite son consommateur», la seconde l’incite plutôt à «d’abord trouver son consommateur et ensuite produire son vin». Le Nouveau Monde, et singulièrement l’Australie, développe des stratégies, pilotées à la vigne déjà, puis à la cave, pour répondre aux besoins de ces «nouveaux consommateurs».
Fraîcheur d’abord,
en blanc comme en rouge
Mais quelles sont les goûts en vogue? Pour les vins blancs, «la préférence mondiale est donnée à la fraîcheur aromatique et gustative», avance Richard Gibson. L’archétype est le sauvignon blanc de Nouvelle-Zélande, qui fait un tabac en Angleterre. Et, ajoute le spécialiste, pour conserver la fraîcheur du produit, la capsule à vis convient parfaitement — les Suisses s’en sont aperçu avant tout le monde! En revanche, le chardonnay très marqué par le bois et «les styles oxydatifs neutres» sont «en chute libre dans la plupart des marchés émergents». Et puis, «une légère sucrosité en bouche peut aider le vin à trouver son public».
Pour les vins rouges, la tendance va aux vins présentant «une astringence réduite et des textures plus rondes, plus pleines que la plupart des styles de vins traditionnels. (…) Les tanins doivent être riches et généreux, et non pas durs et amers. Encore une fois, la préférence est à la fraîcheur», note le consultant australien, pour des vins prêts à boire et non à stocker des années avant d’atteindre l’hypothétique apogée. Là encore, les vins rouges préférés ont une sucrosité notable en bouche. Et puis, «les ventes de rosé sont en augmentation dans la plupart des pays où la consommation de vin croît».
Constance et… inconstance

Ce que les consommateurs détestent ? Les vins rouges bouchonnés, oxydés, ou marqués par le «bret’» (les levures déviantes brettanomyces qui rappellent l’écurie dans un vin jeune déjà !). Le marché exige de la «constance», synonyme de confiance du consommateur…
De son côté, un jeune œnologue anglo-irlandais, qui vinifie dans le Languedoc et en Corse, Richard Spurr, décrit le marché «de bas en haut». Le «vin-tendance» chez les jeunes Anglo-Saxons s’oriente vers des «vins basiques-popular premium», où le prix est déterminant. «Les Chardonnay Girls et les Merlot Men (…) s’attendent à boire des vins sucrés et fruités, mais toujours sans structure.» Ces consommateurs sont réputés «facilement satisfaits» et privilégient le style Nouveau Monde (fruité, droit, sucré) et les «vins de marque».
Connaisseurs, enthousiastes et…snobs

La deuxième catégorie de consommateurs, les «connaisseurs classiques», sont prêts à boire des «vins de marque» fruités et aromatiques, mais sont aussi disposés à goûter des vins plus traditionnels, dont ils acceptent davantage de complexité et d’expression du terroir. Enfin, dans les pays émergents, on distingue des «enthousiastes». «Ils n’ont pas une grande connaissance du vin, mais cherchent à s’éduquer. Ils recherchent plutôt des vins européens et s’identifient plus aisément à cette image traditionnelle». Ces «enthousiastes» sont friands d’information, par exemple par la contre-étiquette.
Manquent à ce panorama deux minorités, les vrais passionnés et les purs snobs : ceux qui «bloguent» volontiers sur l’Internet ou se contentent de «boire l’étiquette», plutôt que le contenu de la bouteille. Enfin, une question que tout professionnel peut transformer en examen de conscience : «Ma carte des vins est-elle susceptible de plaire à ces diverses clientèles ?» Force est de constater que rares sont les établissements qui ont une réelle ouverture — ou les connaissances nécessaires — en la matière !
Eclairage
Des copeaux très symboliques

A entendre les Français, qui ont ouvert la brèche en Europe, l’autorisation européenne, que la Suisse a suivie, de pouvoir utiliser des copeaux de chêne «va permettre de mieux adapter une partie des vins français aux grands marchés.» Cette concession, imposée par la réciprocité des accords entre l’Europe et les Etats-Unis, laisse plus dubitatifs les parlementaires, auteurs d’un «Rapport d’information sur la situation de la viticulture», débattu à mi-novembre à l’Assemblée nationale française. Ils rappellent que si les «copeaux de chêne pour renforcer artificiellement le goût boisé de certains vins» ont lancé la polémique, l’Europe a admis, en même temps, l’utilisation de l’acide ascorbique comme anti-oxydants sur les moûts, des mannoprotéines de levures pour améliorer la stabilisation des vins, du charbon actif sur les vins rouges pour en éliminer les mauvais goûts et du dicarbonate de diméthyle comme conservateur. Bref, la chimie progresse toujours davantage dans les caves. Des œnologues, un brin cyniques, rappellent que, sans l’intervention de l’homme, l’aboutissement de la fermentation du jus de raisin est le vinaigre, et non le vin!
Article paru dans
Hotel + Tourismus Revue, le 5 janvier 2007.