Lonay (VD) — Le Mont-Blanc
Une escalade en solitaire
De ce Mont-Blanc à Lonay, on vous avait déjà parlé. C’était l’époque où l’ambitieux Guillaume Trouillot rêvait de s’installer dans le Vieux-Collège, voire au Château de Lonay. Découverte de l’année du guide GaultMillau, surmédiatisé par la TV romande durant l’été, il a grimpé à l’Esplanade d’Aubonne. Où la commune lui offre une nouvelle cuisine, digne de la table et de la vue… A Lonay, le Vieux-Collège demeure ce qu’il est. Quant au Château, rénové, il abrite quelques appartements de luxe. Reste le café du village aux couleurs provençales. David Grappe s’y est installé. Seul en cuisine. Mais avec l’appui de son épouse Laïla, à la logistique et au service, quand elle ne s’occupe pas des jumeaux de 10 ans, et l’aide précieuse d’un maître d’hôtel, Christophe Derosier, un ancien du Débarcadère à Saint-Sulpice, fermé — définitivement?
Une offre serrée
«Grâce à eux deux, je peux me concentrer sur la cuisine», explique ce Jurassien (français) de 34 ans, qui a fait l’entier de sa carrière en Suisse, dont sept ans au Buffet de la Gare de Gland, après l’école hôtelière à Poligny et Arbois. Le jeune patron a pu imaginer sa carte des mets. Immédiatement, il a été gratifié d’une toque au GaultMillau 2007. Et le chef tient à garder ce cap, qui se retrouve, certes, au niveau des prix. La semaine, le plat du jour, avec potage ou salade, oscille entre 18 et 20 francs, complété par des suggestions de la semaine autour de 25 – 28 francs. A la carte, compter 200 francs pour deux, avec une des bonnes bouteilles d’une sélection de vins serrée.
Les plats ne sont pas nombreux non plus: entrées, poissons, viandes et desserts vont par trois. Une sélection compose le menu, sur une grande ardoise. Avec une entrée, à 59 francs, c’est une aubaine. Ainsi la pressée de caille au foie gras et sa gelée au porto s’est révélée délicieuse, avec des éléments rosés et goûteux. Même précision de cuisson pour le grenadin de veau, souligné d’un jus corsé, de légumes d’hiver et d’une purée de pommes de terre parfumée à l’huile de truffe. Au dessert, trois glaces et sorbets achèvent l’agréable parcours.
Au bon souvenir du Vin Jaune
A la carte, la suggestion du même soir, un millefeuille de langoustines au Vin Jaune, rappelait les origines du chef, né près de Dole. Et ça tombe bien : aujourd’hui, premier dimanche de février, comme chaque année, se tient la Percée du Vin Jaune. En 2007, à Salins-les-Bains, à moins de 60 km de la frontière de Vallorbe (VD). Animation garantie dans ce vieux bourg tapi au fond d’un vallon, où coulera à flots le fameux nectar doré, élevé en fût sans soutirage durant sept ans. En cuisine, ce vin de caractère fait des merveilles…
David Grappe travaille avec autant de respect pour le produit, les morceaux les moins nobles — comme ces joues de cochon en pot-au-feu ou cette souris d’agneau — que les poissons — une parfaite dorade au beurre blanc ou un cabillaud servi dans une fine crêpe. S’il y avait un reproche à faire, ce serait ces assiettes (très) creuses où les légumes d’hiver se perdent dans la purée, et où la crêpe absorbe la bisque de crustacés, laissant, sec à quai, le cabillaud. Mais la même porcelaine convient à une crème brûlée au «café blanc» : les grains ont infusé dans le lait du dessert, un pur délice.
Le décor du bistrot, et son étonnante table de jeu «à la cloche», n’a pas changé. A Lonay, on n’est pas dans une pinte vaudoise, mais dans une brasserie de poche qui repose sur les larges épaules d’un jeune chef en solitaire.
La bonne adresse
Café du Mont-Blanc
Rte des Pressoirs 4
Lonay (VD)
Tél. 021 802 07 21
Fermé dimanche et lundi
Le vin tiré de sa cave
Exotisme local
Avec les Cruchon (trente vendanges en septembre — www.henricruchon.com), on n’est jamais à un paradoxe près. Vedette qui pourrait se suffire à lui-même, Raoul Cruchon tire derrière lui les vignerons morgiens. Fin œnologue, donc technicien, il s’est converti, avec son frère Michel, à la biodynamie dans ses vignes les plus naturelles possibles. Attaché au chasselas et au pinot noir locaux, il signe des vins très personnels, tel ce gamay «Ultimo». Sa contre-étiquette annonce une «démarche extrême», un «côté baroque» pour un rouge à «l’élevage ambitieux» (un an en barriques). Cueilli tout à la fin des vendanges (fin octobre pour ce 2005), le raisin emblématique du Beaujolais prend des teintes méridionales. Plus proche du sangiovese toscan ou du tempranillo espagnol que du grenache ou du mourvèdre méditerranéens : un vin plus sauvage que surmaturé, plus acide, donc élégant, que confituré et pataud. Un vrai vin de brasserie, aux arômes de petits fruits sauvages, de meurons et de ronce, avec une pointe de chaleur en fin de bouche (13°5 en 2005). Ouvert au nez et retenu en bouche, pour un ultime oxymore…
Chronique parue dans Le Matin-Dimanche du 4 février 2007.