Sicile: tous derrière le Nero d’Avola
La Sicile croit au Nero d’Avola
Elle produit encore deux tiers de raisins blancs, mais la Sicile croit fermement en son cépage rouge, le Nero d’Avola, le seul diffusé dans toute l’île, et à son volcan, l’Etna, au terroir original et prometteur. Reportage.
Pierre Thomas, de retour de Sicile
Curieusement, la plus grande île de la Méditerranée, avec une surface viticole un peu plus étendue qu’à Bordeaux (120'000 hectares en production), cultive encore deux tiers de raisins blancs. Ceux-ci entrent dans la composition du marsala, vin muté, sur le modèle du xérès ou du porto, développé au début du 19ème siècle par l’Anglais Woodhouse. Il tirait alors profit de l’intense trafic maritime autour de l’île, où, plus tôt, Phéniciens, Grecs, Carthaginois, Romains, Byzantins, Arabes, Normands, Espagnols, et, finalement, Italiens, jetèrent leur ancre.
La main du «sorcier»
Plus grande région viticole italienne (devant les Pouilles et la Toscane), la Sicile se convertit au rouge, mais le Nero d’Avola ne représente encore que 15% de la surface. Il mène la danse, certes, parmi les rouges (45%), devant la syrah (12%), le merlot (11,6%), le nerello mascalese (10%), des contreforts de l’Etna, et le cabernet sauvignon (moins de 10%).
La Sicile, c’est sûr, a de la peine à valoriser ses vins, dont seuls 15% sont mis en bouteilles. La plupart des domaines passent par la tutelle de ce «sorcier» qu’est en Italie l’œnologue. Les plus prestigieux conseillent des domaines. Par exemple, Riccardo Cotarella, Morgante, Donato Lanati, Contessa Entelinna et Carlo Ferrini, Donnafugata, et Tasca d’Almerita. De grandes familles investissent en Sicile, comme le comte Marzotto, à Baglio di Pianetto, ou les barons de Serramarrocco, un chirurgien romain et un ex-directeur de multinationale qui a vécu à Londres, fascinés par le bordeaux, et revenus sur leurs terres près de Trapani. Ce dernier domaine sera à Morges, à Arvinis (lire ci-dessous). Tous croient en la valeur des vins siciliens, comme la famille Di Gaetano, à la tête de Firriato (rouges Santagostino, Ribecca et Harmonium).
Cépage, mais aussi terroir
Chacun tire des plans sur la comète. Faut-il vinifier le Nero d’Avola en cépage pur ou en assemblage ? La question, s’agissant de l’indication géographique typique (IGT), est réglée : 15% d’un autre cépage peut entrer dans la bouteille, en catimini, sans mention sur l’étiquette. Au sommet de la pyramide, la toute première DOCG (dénomination d’origine contrôlée et garantie), délivrée dès 2006 au Cerasuolo di Vittoria, consacre un assemblage de Nero d’Avola et de Frapato. Et ce vin est présenté souvent en version fruitée, comme au domaine-vedette Planeta, et donc vendu moins cher que les meilleurs Nero d’Avola.
Près du port de Licata, face à la Tunisie, Alfredo Quignones, 38 ans, à la tête de 30 hectares, se bat pour faire aboutir une dénomination contrôlée (DOC) qui prendrait en compte le terroir, dans un triangle compris entre Agrigente, Caltanisseta, et Licata. Un de ses premiers pur Nero d’Avola avait décroché une grande médaille d’or au Concours Mondial de Bruxelles 2003, pour le Tenuta d’Apaforte 1998. Le commentaire des «1001 meilleurs vins» était élogieux : «plénitude éclatante, puissant, élégant, très mûr mais frais. Unique.» Du Nero d’Avola, le jeune producteur aime le «goût de griotte, ses tanins présents, mais pas agressifs, et une acidité basse». Et il déplore que ce cépage fétiche soit «abîmé dans sa réputation par des vins de masse», vendus en supermarché. Pourtant, il n’est pas opposé à des assemblages, comme avec du petit verdot, qu’il vinifie aussi «en pureté», comme disent les Italiens. Le domaine, présent à Arvinis, commercialise aussi un Nero d’Avola passerillé sur souche, dont l’alcool est bloqué à 13°5 degrés, laissant ainsi cent grammes de sucre résiduel dans le vin, une spécialité appréciée des Suisses.
Au-dessous du volcan
Non loin, au revers du fumant Etna, c’est un ex-petit Lausannois, Dô Zenner, qui fait chanter les sirènes sur la mélodie du Nero d’Avola, qu’il cultive en biodynamie, dans la plaine, entre Noto et Pachino, sur la mer ionienne. Le jeune homme, fils de pêcheurs né près de Saïgon il y a 38 ans, puis adopté par un opticien munichois de Lausanne émigré en Sicile il y a trente ans, croit en sa bonne étoile. Jusqu’ici, l’œnologue des domaines réputés Gulfi et Benanti, Salvo Foti, a suivi son vin, le «Terra delle Sirene». Désormais, Dô Zettner veut se libérer de l’influence du «sorcier» et faire tout, tout seul, en biodynamie et dans «un style de vinification que les Italiens ne connaissent pas», sur les conseils du Bourguignon Fred Cossard (Domaine de Chassorney à Saint-Romain). «On a été les premiers, ici depuis trente ans, à essayer de produire de bons vins. On y croit!», dit-il, prêt à prouver que le Nero d’Avola peut jouer en solo.
Eclairage
La débrouillardise d’un Sicilien à Arvinis
Du mercredi 18 au lundi 23 avril 2007 — journée destinée à l’horeca —, Arvinis, à Morges, connaîtra sa douzième édition (programme détaillé : www.arvinis.com). C’est un spécialiste des vins siciliens de La Sarraz, Lorenzo Mendolia, qui a fait les démarches pour attirer neuf domaines au stand d’hôte d’honneur. Originaire de Messine, marié à une Vaudoise, M. Mendolia a, durant trente ans, exploité une… carrosserie. Depuis cinq ans, il s’est passionné pour les vins de «son» île, au point d’ouvrir une échoppe, le samedi, à La Sarraz, ou sur demande (www.mendolia.ch/vins/). Ce «néo»-négociant privilégie l’importation directe. A 57 ans, il a vendu son atelier et ne se consacre désormais plus qu’à sa passion. Et il déplore qu’en raison de la marge que les restaurateurs s’octroient sur les vins, les meilleurs sont, de facto, exclus des cartes, sauf pour faire de la figuration à des tarifs prohibitifs. «Au restaurant, je bois toujours du vin de la région, donc suisse. Et je vends surtout à une clientèle de particuliers, qui en redemandent, car les gens aiment découvrir des vins originaux.»
Paru dans Hotel + Tourismus Revue du 12 avril 2007.