Comment reconnaître les vins dopés aux copeaux?
Changins sur la voie du dépistage
Comment distinguer un vin qui a séjourné en barriques d’un vin dans lequel ont macéré des copeaux de bois? La haute école spécialisée de Changins (VD) est en voie de dépistage.
Rappel : le goût de chêne apparaît en dégustation, mais l’«analyse sensorielle» n’est pas capable de distinguer par quel moyen il s’est communiqué au vin. La question pourrait être rhétorique si les Etats-Unis d’abord, puis l’Union Européenne, n’avaient libéralisé l’usage des copeaux. La Suisse a emboîté le pas: les copeaux de chêne sont autorisés à dater du 1er janvier 2007 dans les vins suisses ou étrangers, de surcroît sans le mentionner sur l’étiquette.
Prouver la tromperie du consommateur
Elaborer une méthode qui permette de distinguer des vins élevés en fûts de chêne de ceux qui ont reçu cet apport par le biais de poudre, copeaux ou douelles (planches) est indispensable pour dénoncer une éventuelle tromperie du consommateur. Car cette libéralisation sans condition ouvre la porte à la tentation, pour le producteur, de vendre cher un vin prétendument élevé en barriques, mais «enrichi» en copeaux bon marché… Certes, l’Association suisse des vignerons encaveurs recommande à ses membres d’y renoncer, mais ni la Confédération, ni les cantons n’ont, jusqu’ici, restreint cet usage, par exemple aux vins de deuxième catégorie. Et les coopératives, comme les négociants, plaident pour la libéralisation, afin de lutter «à armes égales» contre les vins, notamment du Nouveau Monde, qui applique la libéralisation «made USA».
Une banque de données
L’équipe de Changins, formée du diplômé en œnologie Sébastien Butticaz et de son professeur, le chimiste André Rawyler, a fait deux constats principaux. D’une part, la chauffe du bois, qui permet de dégager des composés dits empyreumatiques (comme la vanilline ; le maltol, pour l’arôme de sucre brûlé ; le gaïacol, pour le fumé ; le furfural, pour l’amande amère ou l’eugénol, pour le clou de girofle) n’agit pas de la même façon sur les fûts que sur les copeaux. D’autre part, la quantité de bois en contact avec le vin joue aussi un rôle. Pour étayer la démonstration, 339 échantillons sont contenus dans une banque de données.
Méthode au stade expérimental
Il faudrait encore un an de travail à plein temps à une équipe scientifique pour étoffer cette base de données et obtenir une validation de la méthode. «Plus on augmentera les comparaisons d’échantillons, plus on a de chance de diminuer les critères à cinq ou six molécules», pronostique le chimiste André Rawyler. Il faudra aussi vérifier les influences d’autres espèces de chêne (français et américain, alors que la comparaison se base sur le chêne «terroir suisse», un programme de recherche développé à Changins, entre 2000 et 2005), des chauffes, des cépages (vins rouge et blanc réagissent différemment !) et des techniques de vinification. Pour l’heure, la méthode demeure au stade académique et expérimental.
Pas de marqueur unique, hélas!
Tout aurait été plus simple si les chercheurs avaient trouvé l’élément qui trahit l’élevage en fût par rapport aux copeaux… Un tel marqueur a permis aux Valaisans de distinguer les abricots du pays des autres par l’analyse isotopique de l’eau contenue dans les fruits. C’est le même principe qui permet de détecter le dopage à la testostérone chez les sportifs — même si on est certain qu’au dernier Tour de France, Floyd Landis n’était pas chargé à l’Abricotine AOC du Valais!
Simple pirouette ? Entre tonneaux et copeaux, admet André Rawyler, le chassé-croisé est similaire à la question lancinante du dopage : les fraudeurs ont toujours un coup d’avance sur les contrôles…
Pierre Thomas
Version longue d’un article paru dans Hotel + Tourismus Revue du 10 mai 2007.