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Posted on 24 février 2017 in Vins italiens

Amarone et Ripasso: comment éviter la confusion des genres?

Amarone et Ripasso: comment éviter la confusion des genres?

La Suisse est le deuxième marché d’exportation de l’Amarone (11%), derrière l’Allemagne (18%) et à égalité avec les Etats-Unis. Mais la Suisse absorbe aussi beaucoup de Ripasso. Un vin de second choix qui pourrait faire de l’ombre à son grand frère. Explications.

Par Pierre Thomas

Juste avant la présentation du millésime 2013 à Vérone, fin janvier, le «Consorzio per la tutela dei vini Valpolicella» a publié deux communiqués. Le premier précise que la législation sur l’Amarone et son vin dérivé, le Ripasso, sera renforcée. Le second affirme, sur la base d’un sondage, que les Américains sont très satisfaits de la «versatility» de ce vin.

Un vin versatile

Le mot anglais a une triple signification en français, qui résume bien les enjeux du débat actuel. Il veut dire à la fois «souplesse», «polyvalence» et «versatilité».

La souplesse du vin n’est pas contestée : l’Amarone la tire des raisins rouges des cépages locaux corvina, corvinone et rondinella séchés pendant plusieurs semaines après la récolte dans des hangars avant d’être fermentés et pressés.

En se déshydratant, les baies gagnent en sucre, transformé en alcool. Au-delà d’un certain seuil de sucre, les levures, obligatoirement sélectionnées, donc industrielles, ne le transforment plus. Ce qui signifie que même fortement alcoolisés (parfois à 17% volume) certains vins présentent des sucres résiduels importants (entre 5 et 10 grammes/litre, voire davantage). Voilà qui donne un curieux breuvage, riche et doux à la fois…

Le Ripasso et ses dérives

La polyvalence de l’Amarone est un autre fait avéré. Ce vin rouge capiteux n’a jamais été le philtre des éternels amants de Vérone que sont Roméo et Juliette, mais une «déviation» moderne, datant des années 1960, entre deux vins traditionnels que sont le rouge sec et le «recioto».

Ces deux-là sont en constante perte de vitesse, débordés par le succès de l’Amarone et de son dérivé, le Ripasso. Il faut encore parler un peu de technique pour comprendre ce dernier vin. Le Ripasso est plus ancien que l’Amarone et ressemble à ce que les Français nomment la «piquette», soit une boisson à base de marc— la matière solide qui reste après que les raisins ont été pressés —, complétée par de l’eau, ou refermentée sur du vin rouge dans le cas du Ripasso. De tout temps, on a pu en élaborer à partir du marc de «recioto», un vin rouge doux riche en sucre. Mais c’est le succès de l’Amarone qui lui a redonné un fort élan commercial. Pour chaque litre d’Amarone, la règle disait jusqu’ici qu’on pouvait élaborer deux litres de Ripasso.

Rapidement, le marché a été inondé de ce vin, une sorte d’Amarone de seconde classe, un peu moins sucré, un peu moins riche en alcool, et, surtout, vendu beaucoup moins cher. Toutes sortes de dérives ont encouragé la mise sur le marché du Ripasso, comme l’assemblage de rouge d’entrée de gamme avec 15% d’Amarone déclassé. Le Consorzio voudrait mettre de l’ordre dans ces pratiques. Seul un Valpolicella sec «superiore» (un peu plus riche en alcool) pourrait refermenter sur le marc de l’Amarone en un seul passage. Selon Christian Zulian, le nouveau directeur technique de Bolla, venu de chez Antinori, cette nouvelle règlementation devrait profiter aux deux vins : l’Amarone serait renforcé par une extraction moindre (par exemple, pour 2014, mauvaise année climatique, on en est resté à 40% de la récolte) et ceux qui voudraient miser sur le Ripasso, désormais mieux cerné techniquement, ne pourraient plus produire autant d’Amarone. Toutefois, cette nouvelle règlementation n’est pas encore adoptée.

Ces quatre vins de base (dans l’ordre de volume de production, le Ripasso, 27,6 millions de bouteilles, le Valpolicella sec, 18,2, l’Amarone, 14,5, et le Recioto, 0,4) ont d’ores et déjà été dépassés par des «vins de marque» souvent classés non pas en DOCG (comme l’Amarone et le Recioto), ou en DOC (comme le Ripasso et le Valpolicella), mais en catégories inférieures. Plusieurs caves proposent des vins à base d’une partie de raisin rouge «appassimento» (séché en cagette) et cette mode gagne même le blanc de Soave, notamment à base du cépage garganega, comme chez Sartori, Cà Rugate ou Villa Canestrari.

Technique ou terroir? L’Amarone balance…

Grâce à des techniques de cave toujours plus maîtrisées, les œnologues obtiennent des résultats novateurs et surprenants. Incontestablement, l’Amarone, produit à 52% par de grandes caves (plus de 500’000 bouteilles par an), est devenu un vin auquel chaque maison veut imprimer son style propre, y compris par un long vieillissement, partagé entre la barrique neuve et les grands fûts, le chêne de Slavonie, d’Autriche ou américain, et un stockage en bouteilles toujours plus long, pour affiner le goût du vin. L’Amarone, qui est peut-être le plus technique des vins rouges, s’approche alors du champagne, où le goût de la marque joue un rôle prépondérant dans les cuvées de base.

Ce travail de calibrage commence dès la vigne, où la méthode traditionnelle de culture en treille haute (pergola) reprend ses droits, parce qu’elle protège mieux les raisins en cas de coup de chaleur estival, en parallèle de la culture moderne, en Guyot. En doublant de surface en vingt ans (à près de 8’000 hectares), débordant de sa zone classique (classico sur l’étiquette) de collines, entre le lac de Garde et Vérone, vers des terrains plus plats, entre Vérone et Soave, le Valpolicella veut jouer aussi sur des notions de terroirs distincts. Sans oublier celle de millésime : 2013 passe pour une année à deux vitesses, avec de grosses pluies au printemps, et un long été et automne chaud et sec. Les vins sont riches et tanniques. En attendant les 2014 plus rares, car difficiles à conduire tout au long d’une année de grande humidité, favorisant les maladies de la vigne, comme le mildiou et la pourriture grise. Puis, le très chaud 2015, suivi du 2016, qui devrait renouer avec les grands millésimes (comme 2007 et 2009). On ne le dégustera pas avant 2020, puisqu’il faut quatre ans pour passer du raisin à la bouteille.

D’ici là, le Consorzio aura — peut-être ! — aplani son différend avec le mouvement Le Famiglie dell’Amarone d’Arte, formé de treize domaines parmi les plus prestigieux (Allegrini, Masi, Speri, Tedeschi, Tommasi, Zenato). Et encouragé une viticulture intégrée, plus respectueuse de l’environnement, avec moins d’intrants.

10 Amarone 2013 qui se distinguent

On a dégusté les Amarone 2013 à Vérone, fin janvier 2017. Bel équilibre, avec une dominante fruitée, pour le Classico de Stefano Accordini, le Campi Lunghi d’I Campi et pour «L’Amarone» de la Collina dei Ciliegi, le domaine le plus haut de la région. Caractères épicé et fumé pour le Classico de Cesari, le Classico La Rasta de Degani, chocolaté pour le Classico Masua di Jago de Recchia et le Classico Ravazzol de Ca’ Bionda, encore à dominante boisée pour le Vignetti di Ettore et le Valpantena de Bertani, une maison traditionnelle qui met en vente sa cuvée la plus prestigieuse du millésime 2008, un archétype ui s’exprime tout en finesse.

De g. à dr., nos quatre vins préférés des Famiglie.

Chez Le Famiglie, qui présentaient leur 2010 en dégustation «off», à noter le remarquable Vigneto Monte Sant’Urbano Classico de Speri, un domaine traditionnel, devant un trio formé de Monte Ca’Bianca Classico de Begali, petit producteur très pointu, le très riche (17% d’alcool), puissant et ample Riserva Sergio Zenato Classico, et celui,  élégant et d’une délicate  complexité, le Villa Rizzardi Classico de la famille Guerrieri Rizzardi, nouvelle venue comme 13ème du groupe. (pts)

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 22 février 2017.