Le Tour de Suisse 2007 de la Revue du Vin de France
Le Tour de Suisse de la Revue du Vin de France
Meilleur sommelier du monde en 2000, Olivier Poussier a conduit un véritable Tour de Suisse des vins, du 24 au 26 juillet 2007. Après une étape tessinoise en solitaire, en mai (lire le compte rendu sur le site www.thomasvino.ch), Christian Martray, sommelier de l’Albert 1er à Chamonix, Paolo Basso, vice-champion du monde des sommeliers en titre, et Pierre Thomas ont entamé trois dégustations, l’une à Genève, au Beau-Rivage, une autre au Château de Villa, à Sierre, et une troisième à l’Auberge communale de Bogis-Bossey (VD).
A raison de quelque 120 vins par jour, Genève, la région des Trois-Lacs, le premier jour, Valais, le deuxième jour, et Vaud, le troisième jour. La règle du jeu était simple : une sélection des domaines les plus réputés de chaque région a été envoyée aux offices de promotion, qui ont pu élargir la liste des prétendants. Chaque vigneron s’est ensuite inscrit de son plein gré — certains ont préféré renoncer…
Suspense jusqu'en novembre
Pour ces trois étapes, Tony Decarpentrie, chef sommelier du Beau-Rivage Palace, à Lausanne, et ami de Poussier et Martray, avec qui il avait travaillé à Paris, s’est joint au trio de base et, à chaque étape, en compagnie de quelques sommeliers ou dégustateurs connus et reconnus du cru.
Si la dégustation se déroula à l'aveugle, la discussion fut nourrie. Olivier Poussier et Christian Martray réservent, bien évidemment, l’exclusivité de leurs notes, de dégustation et de pointage sur 20, aux lecteurs du dossier de la Revue du Vin de France (RVF), dont le rédacteur en chef, Denis Saverot, était de la partie à Sierre. Publication prévue en novembre !
Mais en vrac et en exclusivité, voici mes notes, qui n’engagent que moi, cépage par cépage. Il s’agit d’une «discrimination positive», les vins en retrait n’étant pas cités, comme dans toutes les dégustations ou concours, nationaux ou internationaux. Ceux qui suivent ont tous obtenu entre 15 et 17 points sur 20 et ont tous été annotés en détail…
Entre fendants et chasselas
Les Valaisans avaient soumis peu d’échantillons, quand bien même le fendant a — de nouveau… — le vent en poupe. Mais comme chaque vigneron était limité à trois vins par domaine, certains ont préféré d’autres cuvées, notamment en rouge. Deux fendants sortent du lot, le Tradition 2006 de Robert Taramarcaz, au Domaine des Muses, à Sierre et le Sion, collection «F» 2006, des Fils de Charles Favre, à Sion.
Trois douzaines de Chasselas en Pays de Vaud, où le cépage constitue un véritable «réduit national» (un peu moins de deux tiers de la surface, soit 2430 hectares). En pointe, le Dézaley L’Arbalète 2006, de Testuz SA à Cully, devant un autre Dézaley-Marsens, de la Tour, 2003, des Frères Dubois SA à Cully, qui présentaient aussi un étonnant Saint-Saphorin 2006, aux arômes exotiques. Jolie démonstration iconoclaste que le Vase No 10, 2005, sans fermentation malolactique, de Henri et Vincent Chollet, à Aran-Villette. Les Grognuz frères et fils, à Villeneuve, jouent placés avec le Saint-Saphorin Le Louchy 2006 et Les Rois 2006, finement boisé. Charly Blanc et Fils à Versvey-Yvorne placent deux beaux Chasselas du Chablais, l’Aigle Le Golliez et l’Yvorne A la George, tous deux en 2006. Accessits, en version tendre, le Château de Châtagnéréaz 2006 (Schenk) à Mont-sur-Rolle, et le Villette Les Barberonnes 2005, de Jean Vogel et fils à Grandvaux et, en plus minéral, le Saint-Saphorin Les Blassignes 2006, de Pierre-Luc Leyvraz à Chexbres.
Chardonnays peu convaincants
Hors Chasselas, on notera les blancs genevois, le Sauvignon 2004 du Domaine du Paradis, à Satigny, et, très marqué par l’élevage, du même millésime, celui de Stéphane Gros, à Dardagny. Les Chardonnays sont souvent décevants, à l’exception de celui du Domaine Les Perrières de Peissy (GE), du Schloss Salenegg (Grisons), de l’atypique de Christian Dugon, des Côtes-de-l’Orbe (VD), (qui signe un étonnant doral 2005, gras et très particulier…) et du Château d’Auvernier (NE), tous dans le millésime 2005.
Du côté des Trois-Lacs, mention au Pinot gris du Vully, «Cru de l’Hôpital» 2005, de la Bourgeoisie de Morat (FR) à Môtier et du Cru de Champréveyres 2006, d’Alain Gerber, à Hauterive. En Pays de Vaud, les frères Cruchon d’Echichens étonnent avec leur Altesse 2006, le plus réussi des blancs vaudois hors Chasselas. En Suisse alémanique, bon Pinot blanc 2006 de la famille Meyer à Osterfingen (SH) et au Completer 2004, riche et tendre, donc atypique, du Domaine Donatsch à Malans (GR).
Des blancs… en demi-teinte
Les blancs aromatiques n’ont guère enthousiasmé les dégustateurs français (qui les jugent trop lourds et peu nerveux), même si j’ai bien noté le Muscat sec d’Anières 2005 de Villard et fils, et le Viognier 2005 du Domaine des Curiades, Dupraz et fils, à Lully. Hors Valais, les liquoreux genevois Pinot Gris de Dardagny 2004 du Domaine des Hutins et le Gewurztraminer «Les Raretés» 2005, de Villard et Fils à Anières, sont bien notés, comme l’étonnant Muscat, «Vendange tardive» 1999, de Jean-Daniel Giauque, à La Neuveville (BE) et, à la limite inférieure, le Trilogie 2006 d’UVAVINS à Tolochenaz (VD).
Plusieurs confirmations dans les blancs valaisans… Un très bon Johannisberg 2006 des Frères Bétrisey à Saint-Léonard et, dans une série hélas beaucoup trop sucrotante, un seul Savagnin — Païen, le Heida 2006, «Réserve des administrateurs», de la Cave Saint-Pierre (Schenk), à Chamoson. Dans les amignes, la très riche Amigne Grand Cru de Vétroz 2004 de la Cave de la Tine, Hervé Fontannaz, et la très bonne Marsanne 2005, Ermitage de Marie-Bernard Gillioz-Praz, à Grimisuat, et l’Humagne blanche de Vétroz 2006 de la Cave des Ruinettes, Serge Roh, à Vétroz.
Petites arvines : difficile synthèse
Pas facile de réussir des Petites Arvines réunissant toutes les qualités (nez exotique, bouche concentrée et finale saline) : Benoît Dorsaz, à Fully, avec Les Perches, s’en sort à son avantage, comme Denis Mercier, à Sierre, Défayes et Crettenand, à Leytron, toutes du dernier millésime (2006), un trio devancé de justesse par une Petite Arvine 2005 de Philippoz frères, à Leytron, à l’élevage en barriques subtil, qui n’écrase pas le vin…
Mais la Petite Arvine est aussi un formidable raisin magnifié par la surmaturité sur souche. La preuve, dans la finesse et l’élégance, par «Sous l’Escalier» 2005, du Domaine du Mont-d’Or (qui réussit aussi un joli Johannisberg 2005, Saint-Martin). Dans la puissance et la complexité, l’extraordinaire «Grain Noble» 1998 de Marie-Thérèse Chappaz, de Fully, qui devance le… «Grain Noble» 2001. Juste derrière, avec des vins toujours étonnants, les «Ambre» (assemblage de Petite Arvine et de Marsanne) 2001 et 1999 de Christophe Abbet, de Martigny, qui joue sur l’oxydation et le style Tokay hongrois… L’Amigne flétrie 2004 d’André Fontannaz, Cave La Madeleine, à Vétroz, et, dans un style surprenant, la fort peu doucereuse (40 gr./litre de sucre affichés, contre 150 à 280 gr./litre, pour l’Ambre 1999 !) Marsanne de Chamoson 2005 Les Cigalines, Maurice et Xavier Giroud, La Siseranche à Chamoson, certes moins bien notés par les autres dégustateurs…
Pinots Noirs : loin des archétypes
Avec fort peu de Pinots Noirs valaisans, on attendait les Grisons… Un seul des Valaisans tire son épingle du jeu, et encore, sur l’élégance et non sur la puissance, le PN 2006 de Salquenen «Collection Artiste», de Gregor Kuonen, Caveau de Salquenen. Le PN 2004 d’Annatina Pelizzati à Jenins (GR) s’est révélé le plus complexe et le mieux élevé des Grisons, un peu décevants dans l’ensemble, avec un étonnant «Spiger» 2004 du Domaine Donatsch à Malans, et les deux de Peter Wegelin, le «simple» 2005, moins complexe que la réserve 2004.
Le Thurgovien Hans-Ulrich Kesselring, Schloss Bachtobel, avec la «Cuvée No 3», 2005, et le «Zwaa» 2005, du duo schaffhousois Meyer et Baumann à Osterfingen et Oberhallau, ainsi que la «Réserve privée» 2005 de la même famille Meyer, seule cette fois, jouent tous les trois placés, à égale hauteur des meilleurs grisons. Les Neuchâtelois se sont révélés, comme souvent à ce haut niveau, un cran au-dessous… Les Genevois obtiennent un accessit avec le PN 2005 du Domaine Les Vallières, de la famille Serex à Peissy, et les Vaudois glissent les deux pinots 2005, un peu rustiques et marqués par les tanins, le Raissennaz et le Champanel des frères Michel et Raoul Cruchon, d’Echichens, devant le Servagnin 2005 de Philippe Charrière, du Domaine de Marcelin sur Morges.
Des Vaudois qui (r)assemblent
Ce dernier signe un agréable «Trifolies» 2005 (assemblage de gamaret, garanoir et trousseau), un cran au-dessous de «L’Arpège» 2005 de Christian Dugon, à Bofflens, tandis que «L’Arquerouge» 2005 de la Cave de Bonvillars, la «Cuvée des Druides» 2005 d’Yann Menthonnex, à Bursins, et le «Rubis Noir» 2004, en plus léger, de l’Association viticole d’Ollon, s’en tirent plutôt bien, comme les cuvées 2005 très extraites, puissantes et marquées par le bois, de Charles Rolaz et Fabio Penta, la «Cuvée Charles-Auguste», du Domaine de Crochet à Mont-sur-Rolle et la «Côte Rousse» du Domaine du Montet, à Bex, toutes deux en 2005. Mais le meilleur vin rouge vaudois s’est avéré être une Syrah 2003 des treilles de Saint-Saphorin, signée des Grognuz frères et fils… une bouteille sans doute épuisée, hélas.
Syrahs et cornalin : le meilleur du Valais
Voilà qui ramène au Valais où la Syrah «Vieilles Vignes» 2005 du Domaine Simon Maye et fils à Saint-Pierre-de-Clages était un cran au-dessus de la surprenante Syrah 2006 de la Cave du Rhodan, Olivier Mounir, à Salgesch, devant la Syrah «Encre de la Terre» 2003 de Claudy Clavien à Miège.
Difficile dégustation des Humagnes Rouges en présence, où la «Vieilles Vignes» 2006 de Philippe Darioli, de Martigny, s’impose sans conteste. Plusieurs Cornalins, de styles différents, sont bien notés. D’abord, le somptueux 2005 de Denis Mercier, à Sierre, devant le 2006 du Domaine des Montzuettess, de Charles-André Lamon, à Flanthey, juvénile mais aux belles promesses ; derrière, ceux de Marie-Bernard Gillioz-Praz, de Grimisuat, de Nicolas Zufferey, Les Bernunes, à Sierre, de Madeleine Mabillard-Fuchs, à Venthône, et de Montibeux, des frères Rouvinez, Colline de Géronde à Sierre, tous dans leur version 2005.
S’ajoutent à ces rouges, les crus genevois, le Gamaret 2005 de la Cave des Perrières, Bernard Rochaix à Peissy, le très civilisé Cabernet 2005 Domaine de Grand Cour, de Jean-Pierre Pellegrin, et trois assemblages rouges, le confirmé et remarquable «Bertholier» 2005, du Domaine Les Hutins, à Dardagny, l’étonnant «Le Crêt» 2005, de Claude Berthaudin, et, en version 2003, le «Chorus» de La Comtesse Eldegarde, de Nicolas Bonnet, à Satigny. Officiellement, pas de gamay, sinon un accessit pour Jean-Michel Novelle et son supergamay 2003, exubérant et hors norme, et pas plus d’«Esprit de Genève», ou du moins pas signalé comme tel, qui doit contenir au moins 50% du cépage rouge en voie de réhabilitation, et élevé en fûts…
Rappel : tous ces vins ont obtenu, à nos papilles, entre 15 et 17 points sur 20. Sachant qu’une telle dégustation représente une photographie instantanée de la production viti-vinicole, précision valable pour toute dégustation sous toutes les latitudes!
© Pierre Thomas, 1er août 2007 — texte de la Newsletter d'août 2007 envoyée aux abonnés (pour s'abonner, s'inscrire dans la fenêtre ci-contre à gauche).