Jérôme Manifacier, Vertig’o, Genève: Quand le luxe se fait plus escargot que homard
Le décorum influence-t-il le palais des gastronomes? Les aménagements post-modernes de Sybille de Margerie, décoratrice du prestigieux Crillon parisien, avaient ébaubi le petit monde genevois. Cet été 2013, les poteries insolites, les faux vases chinois et la curieuse vasque du Vertig’O vont passer à la trappe. Le talentueux chef, Jérôme Manifacier, lui, reste.
Finis, le décor sombre, les fauteuils (trop) bas et les tables (trop) hautes, plus adéquates dans un bar à vin que dans un étoilé Michelin (un macaron conquis en 2009). On ne sait encore rien du nouvel écrin de 40 places. Mais une chose est sûre, le chef Jérôme Manifacier, installé ici depuis la rénovation de 2006, reste à la barre. Avec son petit équipage de six permanents, sur une brigade d’une dizaine de pros, il est prêt à affronter sa quarantaine… en rugissant.
Engagé pour redonner un certain lustre au restaurant de l’Hôtel de la Paix, le second et chef de Gérard Rabaey, alors triple étoilé Michelin au Pont de Brent sur Montreux, a pleinement assuré jusqu’ici. Râblé, dans son uniforme noir qui lui donne un bon air de moinillon d’étiquette de camembert, Jérôme Manifacier, accent chantant d’Avignon, n’a pas pris la grosse tête. A midi, du moins, le Vertig’o ne donne pas le vertige : un menu trois plats à 65 francs, et même deux plats servis en 45 minutes, top chrono, pour 45 francs, franco ! Qui dit mieux sur le quai du Mont-Blanc, où ce «gastro» bénéficie de sa propre entrée, juste à côté de celle de l’hôtel et son spectaculaire lobby aux escaliers et lustre de palais florentin ?
En six ans, la cuisine a «évolué», tempère le jeune chef, qui entend placer le produit au centre de l’assiette, «sans minimalisme ; je ne mets pas de limite à ce que je fais. Si je veux proposer une blanquette de veau à midi, eh bien, elle doit juste être meilleure qu’ailleurs, c’est tout !» Le restaurant est un des atouts de ce «boutique hôtel» avec vue sur la rade. La même cuisine «étoilée» peut être servie dans le restaurant privatisé, dans un salon, refait à neuf ce printemps, et dans le salon Alabama, qui vient de troquer son parquet de bois contre une moquette.
Pas d’outrance de style, pour ce Français monté, pas à pas, du bas de l’échelle, du pré-apprentissage à 14 ans, parce qu’il n’aimait pas l’école, aux hautes sphères du luxe. Avec des étincelles dans ses yeux marrons, il lance, goulûment : «Je reste un artisan à 100% et j’adore la cuisine bourgeoise gourmande.» Au homard, il préfère les «carabineros», grosses crevettes sauvages pêchées au large de l’Afrique du Nord, et, à l’heure où «on a banalisé le foie gras», n’hésite pas à servir des escargots, des grenouilles et des ris de veau. «Il faut se battre pour les bons produits et je me refuse à les cuisinier hors saison», dit-il.
Ses assiettes sont un plaisir pour l’œil, avec des nuances dans le traitement et un soin esthétisant dans la garniture, comme pour ce tartare de lapin, parfaitement assaisonné, ou ce turbot réhaussé d’un jus (de veau) au porto et aux truffes. Rien que du très bon! Avec, au final, des desserts de haut vol, apprêtées par le pâtissier Emmanuel Lebled, un ancien de Gérard Rabaey, lui aussi. «Un repas, pour moi, c’est important du début à la fin», commente le chef. Et quel que soit le (nouveau) décor, ce bon principe perdurera.
Pierre Thomas
Restaurant Vertig’O – Hôtel de la Paix
11, rue du Mont-Blanc
Genève
Tél. 022 909 60 73
www.concorde-hotels.com/vertigo
Fermé samedi midi, dimanche et lundi.
Vacances une semaine à Pâques et de mi-juillet à mi-août 2013 (rénovation).
Paru dans le magazine Trajectoire, printemps 2013.