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Posted on 30 octobre 2014 in Vins français

Une tournée à Châteauneuf-du-Pape  en six étapes

Une tournée à Châteauneuf-du-Pape
en six étapes

A l’échelle de la France, les 3200 hectares, répartis en 230 domaines, de Châteauneuf-du-Pape ne sont pas bien grands. Pourtant, grâce au gourou américain Robert Parker, ce rouge capiteux est à nouveau à la mode dans les pays anglo-saxons, depuis quinze ans. 70% des vins sont exportés, et la Suisse figure en bonne place aussi.

Un reportage de Pierre Thomas (textes et photos)

Qu’est-ce qui a changé dans l’une des premières appellation d’origine de France (AOC), attestée officiellement en 1936, mais où la plantation de la vigne remonte au XIème siècle, sur la rive gauche du Rhône et dont la réputation fut assise par le bref séjour de la papauté au 14ème siécle? Châteauneuf-du-Pape est bien une unité géographique, mais cultive la diversité des lieux-dits et des sols, et aussi des cépages — 13 officiellement, 18 en réalité, si on compte les mutations des raisins rouges en rosé et blanc ! La culture bio y est naturellement favorisée par le climat et le mistral. Et l’influence des œnologues-conseils dans les caves est toujours plus grande.

Reportage en six tableaux et autant de domaines, tous distribués en Suisse. Et sur le millésime 2012, actuellement sur le marché, qui rend un hommage flatteur au grenache noir, cépage largement majoritaire, planté sur 75%, sur le vignoble castelpapal, dans une année où il s’exprime déjà, alors que les 2011 sont plus fermes et plus tanniques et qu’en 2013, le grenache a subi une forte «coulure» au moment de la fleur ; les cuvées mettront davantage l’accent sur la syrah et le mourvèdre, les deux autres cépages les plus répandus, avec le cinsault. En 2014, syrah cueillie très précocement autour du 20 septembre et grenache de bonne qualité chez ceux qui auront su attendre octobre et trié la vendange (la vendange manuelle et le tri sont obligatoires dans l’AOC).

Changement de cap au Château Gigognan

L’étiquette n’est apparue qu’en 1998, après qu’un entrepreneur, Jacques Callet, 75 ans, aujourd’hui établi en Suisse romande, eût racheté ce vaste domaine, puis fait construire une cave moderne en annexe de ce qui fut le prieuré Saint-Joseph, à deux pas de l’abbaye de Gigognan.

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Comme pour la plupart des domaines de Châteauneuf-du-Pape, la plus grande surface (42 ha) est en AOC Côtes-du-Rhône, et 25 ha supplémentaires sur deux expositions de Châteauneuf. Il faut savoir que quand un vin de Châteuneuf est jugé indigne de l’AOC, il ne peut pas être déclassé en côtes-du-rhône, mais dans la catégorie la plus basse, en vin de table. En Côtes-du-Rhône, où l’on vendange à la machine, Gigognan a renoncé au bio, certifié Ecocert depuis 2010 pour le châteauneuf, dont le raisin est récolté à la main. Les jus sont vinifiés en inox, puis élevés en cuve béton.

L’usage de foudres a été abandonné, depuis que l’œnologue Philippe Cambie suit ce grand domaine. L’homme, ancien rugbyman au format de lutteur de sumo, est impressionnant. Le renouveau du style de Châteauneuf-du-Pape lui doit énormément, avec un accent sur le grenache noir (75% de l’encépagement), et la vogue des cuvées «100% grenache». Produite uniquement dans les bonnes années, la cuvée Cardinalice (70% grenache), est ici remarquable, en 2012 : nez mentholé, trahissant l’élevage en bois neuf (barriques de 225 litres et demi-muids de 600 litres), arômes de confiserie, de framboise écrasée, de la richesse, de la rondeur et des épices, apportées par 30% de syrah. Un vin à la fois gourmand et concentré, une des caractéristiques du millésime 2012, où la «grande garde» sur vingt ans n’est sans doute pas recommandée, mais où le plaisir est immédiat ! Sur le même rapport de cépages, la cuvée Clos du Roi, joue dans la même gamme aromatique.

Avec le millésime 2012, Gigognan a profité de mettre un peu d’ordre dans ses étiquettes, et propose un Clos du Roi blanc, élevé en fûts, puissant, gras, sur le citron confit. Un vin d’assemblage typé de châteauneuf : grenache blanc à 45%, roussane à 35%, clairette à 10% et bourboulenc à 10%. Parenthèse sur les blancs (6% de la production), vendus aussi chers que les rouges (25 euros). A noter aussi que le Château, certes décentré, propose cinq chambres d’hôtes.

www.gigognan.fr

La nouvelle vie du Clos Saint-Pierre

Sur le livre d’or de ce domaine, promis à une renaissance, Curnsonky, le «prince des gastronomes», s’était extasié de l’«essence de soleil» qui lui avait été servie ce jour-là de 1930. On passera sur les déboires peu chevaleresques qui ont conduit Carole et Pierre Perveyrie à partir de quelques hectares de vigne (8 aujourd’hui) pour reconstituer ce domaine et leur vie. La cave est toute neuve, noire comme de l’encre, et éclairée par des lustres rococo ! Là encore, les vignes sont cultivées en bio, certifié Ecocert, depuis 2012. La production de rouge, la cuvée Urbi, et de blanc, — on vous le donne en mille !—, Orbi, dès 2014, est confidentielle.

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Leur bijou de cave, les Perveyrie ont pu l’édifier grâce à des aides européennes (qui vont jusqu’à 40% si on pousse l’économie d’énergie à son maximum), non loin d’Orange. Ils ont aussi aménagé une maison d’hôtes au centre de Châteauneuf-du-Pape, La Muscardine : sous les deux chambres rénovées avec goût, une cave abritera bientôt les barriques pour l’élevage des deux vins. Pierre Perveyrie veut un rouge «sur le fruit, à boire toute l’année, avec un soutien d’alcool pas trop élevé». Un grenache bien mûr peut atteindre les 16,5% d’alcool ! Le Clos Saint-Pierre vise les 14,5%, par un assemblage de grenache (40%), contrebalancé par de la syrah (40%) et complété par du mourvèdre (20%). Cette trilogie est aussi celle de la majorité des châteauneufs modernes.

La cave s’est adjointe les conseils de Xavier Vignon : cet œnologue toujours pressé est un enfant terrible des côtes-du-rhône, qui rigole de ses exploits, comme celui de proposer une cuvée de châteauneuf-du-pape non seulement assemblage de cépages, de terroirs — les quatre plus fameux, La Crau, les Galets roulés, les Urgoniens, et les sables — mais aussi de millésimes dans un seul flacon XXL, appelé La Réserve VII IX X (pour les millésimes 2007, 2009 et 2010).

www.chateauneuf.com

Les nouveaux défis de La Barroche

Nouvelle cave moderne en vue dès l’an prochain pour La Barroche, logée dans un labyrinthe, dans le village. Voilà qui n’a pas empêché Julien Barrot, et sa sœur Laetitia venue l’appuyer, de sortir quelques vins spectaculaires. Leur père, Christian, vendait les raisins de ce domaine de 14 ha, chez les négociants Guigal et Chapoutier, qui peuvent vinifier du châteauneuf à Tain-l’Ermitage, selon une ancienne dérogation.

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Tout, ici, est dessiné pour obtenir une matière première exceptionnelle, avec un âge moyen des vignes de 65 ans et même la moitié plus que centenaires ! Pas de bio, mais une «culture raisonnée». Les jus macèrent quatre semaines, avec des remontages réguliers, dans des cuves en béton. L’éraflage n’est pas systématique. L’assemblage de cépages varie d’année en année, sur la cuvée de base, Signature. En 2013, par exemple, où la coulure fut fatale au grenache, la syrah et le mourvèdre seront un plus important, avec, toujours 6% de vieux cinsault. Ce 2013, on l’a goûté : nez de violette, du fruit, des épices, de la puissance, mais un bel équilibre. Le 2012, est davantage sur le fruit confit, la rondeur, avec un beau volume, souligné par des tanins fermes.

En 2005, Parker avait noté 100 sur 100 la cuvée Pure, 100% grenaches centenaires d’une seule parcelle, Grand Pierre, non loin des vignes de la légende hors catégorie de Châteauneuf-du-Pape, Rayas. En 2012, ce vin haut de gamme, élevé 18 mois en demi-muids, offre un nez de pruneau, avec des arômes frais de framboise écrasée, du gras et une belle longueur, sur l’élégance. Julien Barrot est sur le domaine depuis douze ans et avoue : «J’ai exploré toutes les limites pour revenir en arrière». On se réjouit de goûter aux vins quand l’«outil» — la cave — sera moderne et fonctionnelle. Et le domaine est suivi par Emmanuel Gagnepain.

www.domainelabarroche.com

Du béton à la Bastide Saint-Dominique

Moderne et fonctionnelle, la cave de la Bastide Saint-Dominique l’est déjà. A 37 ans, Eric Bonnet a développé en parallèle du domaine familial (11 ha en châteauneuf-du-pape), une activité de négoce sous son nom, où il propose par exemple une épatante pure roussanne 2013, avec cette touche ligneuse propre au cépage, en vin de pays de la Méditerrannée à prix d’ami (5,50 euros).

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Pratiquement pas une barrique dans le chai, où il est conseillé par Baptiste Olivier, du même service que Philippe Cambie, l’Institut coopératif des vins (ICV). Le retour à l’inox pour la vinification «propre», puis à la cuve en ciment pour l’élevage, est patent. Car comme le dit Philippe Cambie, «la première chose à faire, il y a 15 ans, était d’éliminer le goût de bret’ (réd. : une odeur persistante et désagréable de vieux cuir et d’écurie, due à la bactérie brettanomycès, qui se développe dans des caves pas propres, durant des fermentations languissantes et dans de vieux fûts). Et il n’y en a plus !»

A la Bastide Saint-Dominique, dont les vignes sont certifiées bio Ecocert depuis cette année (2014), la cuvée de base est marquée par le grenache très mûr (80% pour 10% de syrah, 5% de mourvèdre et 5% de cinsault), qui donne, en 2012, des notes très fruitées, de griottes, avec un joli soutien acide, et une belle fraîcheur en bouche, pour 15% d’alcool. On passe à une autre dimension avec un 100% grenache, «Les secrets de Pignan», au magnifique nez de cerises confites, d’épices douces, un vin très aromatique, suave, aux tanins souples. Pendant plus osé, mi-grenache, mi-mourvèdre, Les Hespérides, d’une seule parcelle, est plus difficile à goûter, mais promis à une longue garde, avec ses tanins fermes, mais un joli équilibre gustatif, sur des notes de raisins très mûrs et de tabac blond. «Je me sens toujours plus proche du raisin», confie Eric Bonnet, penché sur une cuve ouverte où macérent les premières syrahs 2014, tandis que les grenaches fermenteront dans des cuves fermées. Pas de miracle : sans le maquillage du chêne, plus ou moins neuf, la subtilité des arômes retranscrit la précision de la vinification…

www.bastide-st-dominique.com

Droit dans ses bottes au Domaine de La Solitude

Sur ce vaste domaine de 37 ha, quasi d’un seul tenant, situé sur le plateau de La Crau, Florent Lançon, 35 ans, prend ses marques. Ce biologiste de formation avoue une passion pour la vigne d’abord, ensuite pour la cave, où il est suivi, depuis peu, par Baptiste Olivier. Le scientifique, passionné par les orchidées du monde entier, est revenu il y a cinq ans sur le domaine familial. Il se méfie du bio radical, «à cause du cuivre» : «J’ai fait de la chimie, mais je suis pour les choses simples pour obtenir un bon vin.» Mais il travaille avec le respect du sol, avec un rang de ceps labouré, l’autre enherbé, par exemple. Et la cave est équipée pour vinifier en grappes entières.

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Depuis longtemps, le domaine est connu pour ses blancs. Le Tradition 2013, à base du quatuor classique (grenache blanc, clairette, roussanne, bourboulenc), dont un cinquième passe en barrique, offre un nez encore vanillé et toasté, sur une matière au premier abord souple, citronnée, mais avec un agréable puissance : «A boire jeune ou à oublier dix ans !». Le Tradition rouge (50% grenache, 30% syrah, 15% mourvèdre, 5% cinsault), en 2012, est à la fois souple et tendu, avec des tanins fondus et une finale acidulée, «un vin gourmand», juge Florent Lançon.

Dans le haut de gamme, la cuvée Barberini 2012 (sur un assemblage de cépages presque semblable), offre un nez épicé, poivré, vanillé, avec une belle puissance en milieu de bouche, et une longueur suave. Le producteur souligne le «travail d’œnologue» dans La Réserve Secrète 2010. Il s’est agi de marier 60% de grenache à 40% de syrah, «deux cépages antagonistes, où le premier amène peu de couleur, de l’alcool, des tanins, et une lègère oxydation, alors que le second apporte de la couleur, des parfums, avec le risque de la réduction». Le résultat se joue sur une belle puissance dans ce millésime de longue garde : le 2001, complexe, balsamique, sur le tabac et le chocolat, était magnifique. Tant dans les cuvées «traditionnelles» que dans les cuvées de «haut de gamme», Châteauneuf-du-Pape offre un vaste choix : «La concurrence est saine. On se connaît tous. Et on vit bien ici !»

 www.domaine-solitude.com

Le Cellier des Princes grand ouvert

Au bord de la nationale 7, à Courthézon, le vaste bâtiment industriel de la seule coopérative de Châteauneuf-du-Pape (400’000 bouteilles par an sous cette appellation), fondée en 1925, passerait inaperçu. Ne serait-ce un magasin de vente tout neuf, bien aménagé, où on propose, sept jours sur sept, tout l’assortiment de la coopérative, qui réunit 180 vignerons travaillant 580 ha de vignes, et quelques sélections plus larges, y compris de produits régionaux comme des confitures et de l’huile d’olive. On peut encore aller y remplir son estagnon de châteuneuf rouge au pistolet, directement de la cuve, à 15.95 euros le litre ! Le Cellier des Princes a aussi ouvert une antenne près du Vieux-Port, au cœur de Marseille…

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Cette large ouverture, on la doit à Pierre Cohen, un ancien du groupe Skalli et de la coopérative du Val-d’Orbieu, deux grandes entités vitivinicoles du Languedoc, qui a pris les rênes de la coopérative, il y a une dizaine d’années. A côté de toute une gamme de vins de cépages ou d’appellations, figurent quatre «vins de domaine» de l’AOC Châteauneuf-du-Pape.

Ici, le millésime 2012 est considéré comme «excellent». Le châteauneuf-du-pape blanc est vinifié et élevé en barriques, par le jeune œnologue Thierry Ferlay : un style moderne, marqué par les arômes de noix de coco, gras et puissant. Les rouges misent sur le grenache, pur ou largement majoritaire, comme le Domaine de la Pierre, où la syrah «ouvre» le vin sur des notes florales, de violette, tandis que le Domaine des Escondudes, pur grenache de vieilles vignes, présente des tanins serrés en finale, sur un beau volume, alors que le Domaine de la Mourre est taillé dans une puissance rustique, à l’ancienne, avec des notes de chocolat et d’orange amère.

Grâce à la conjoncture, favorable à la montée en gamme des côtes-du-rhône et de leurs crus, la vente en bouteilles est passée de 20% à 98% du chiffre d’affaires, au détriment de la vente en vrac à de grands négociants. «Nous avons même pu attirer de nouveaux coopérateurs», commente Pierre Cohen.

www.cellierdesprinces.fr

Reportage paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo, le 30 octobre 2014.

©thomasvino.ch