Ventes aux enchères de vins
Genève relancée
La vente aux enchères de vins s’est déplacée vers Londres, mais surtout à New York et à Hong Kong, les Américains et les Chinois étant les plus grands acheteurs de vins fins. Pourtant, à Genève, depuis l’automne passé, Baghera, une petite maison animée par Michael Ganne, veut faire revivre ces ventes. Dimanche 22 mai 2016, elle a réalisé un peu plus de 6 millions de francs suisses de vente, notamment grâce à 266 lots du prestigieux Domaine de la Romanée-Conti (DRC), issus d’un seul collectionneur suisse. Ces 1407 bouteilles ont été adjugées au prix moyen de 2’700 euros le flacon (soit 3,8 millions d’euros de vente de la seule DRC).
Par Pierre Thomas
Le marché des vins fins, ou de prestige, génère un chiffre d’affaires mondial de 380 millions de francs, relativement modeste. Michael Ganes rentre de Hong Kong, où il est allé faire la promotion de sa vente, par le biais d’un catalogue de 350 pages, tiré à 2’500 exemplaires, dont 600 pour un partenaire chinois. «A Hong Kong, les amateurs savent se faire plaisir. Ils ouvrent de grandes bouteilles !» Toujours à l’abri du regard, dans de petits salons de restaurants où chacun boit à sa guise.
Ce Bordelais, qui fut durant dix ans chez Christie’s à Genève responsable des ventes de vins, avant que la maison ferme ce département en 2013, explique que «la Suisse est un marché sain. Potentiellement, il y a des acheteurs importants. Et on ouvre encore des bouteilles, ce qui est de moins en moins le cas en France.» Le vendeur par procuration insiste : «Il y a toujours un côté affectif de partage et de convivialité dans le vin.» Même au niveau des flacons de prestige…
Coup de fil, Internet et paravent chinois
Ce monde reste un peu mystérieux… Et pour cause : les salles de ventes se sont vidées, au profit des ordres passés par écrit, notamment via Internet (60 à 70%), des transactions en direct par téléphone (le client est en ligne) ou par Internet (le client réagit directement de son clavier). «On a vidé les salles en permettant d’acheter de n’importe où au monde. J’ai vu, à Londres, une vente sans aucun acheteur physiquement présent ! On essaie donc de faire revenir du monde, comme nous à Genève à l’Espace Fert (rue Barton 7), un dimanche où il ne fera pas beau !», explique Michael Ganne.
L’autre phénomène, c’est la mainmise de gros acheteurs, souvent des marchands, qui réalisent en fait les deux tiers des lots. «C’est inévitable… mais ça a tendance à baisser», assure le Genevois d’adoption. Reste qu’en Chine notamment, l’acheteur final aime à s’abriter derrière ce genre de paravent, pour garder toute discrétion : le marchand est un intermédiaire en qui l’acheteur final a confiance.
Que des flacons de prestige
La jeune maison genevoise se profile uniquement sur les vins de prestige, avec deux ventes par an, une au printemps, l’autre avant Noël. «Je ne vise pas les 6 millions de francs à chaque coup : ce sera la première fois qu’un tel montant est en jeu à Genève depuis 2007. Si j’ai l’opportunité de vendre une belle collection autour d’un million, je le fais. Mais ce que j’aime, c’est la préparation, l’établissement du catalogue, avec ma petite équipe. Sous le million, les frais générés ne sont plus raisonnablement supportables». S’ajoute le fait que le marché s’est tassé : «Les 6 millions escomptés pour dimanche auraient pu viser plus de 8 millions en 2010». Mais les Chinois ont beaucoup acheté et donc stocké.
Les vins mis en vente dimanche — 612 lots ! — proviennent, pour la DRC, d’un seul collectionneur (266 lots de 1407 bouteilles conservées au Port franc de Genève) : ce sera la plus grosse vente aux enchères de vins de ce domaine emblématique de la Bourgogne jamais organisée en Europe. Compter entre 7’500 et 12’000 francs la bouteille de Romanée-Conti. Avec la modeste consolation de ne pas être obligé d’en acheter douze…Un jéroboam de 1999 a été adjugé à 53’000 euros et un lot de 12 bouteilles de 1988 à près de 130’000 euros.
Un «entrepreneur connu de Suisse» se sépare aussi de grands crus de Bordeaux (3’000 bouteilles) des années 1980 et 1990 (et de champagnes). Là, le prix prévisible est relativement plus raisonnable : «Quand on voit des 1ers GC vendus en primeurs à plus de 400 euros, comme en 2009 et 2010 et peut-être en 2015, les mêmes vins des belles années des décennies précédentes, qu’il ne faut pas devoir attendre 15 ans avant de les boire, permettent de réaliser des affaires intéressantes», fait valoir Michael Ganne.
Ne pas oublier qu’au prix de mise s’ajoute une commission de 20% et, en Suisse, la TVA de 8% sur le vin et la commission, une taxe dont sont exemptés les acheteurs de Hong Kong. Plus le prix du transport du vin acquis…
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