Valentina Andrei Le vin par instinct
C’est, déjà, une icône des vins du Valais. Valentina Andrei n’est pas née dans le Vieux-Pays, mais au nord de la Roumanie, à Botosani, la ville du grand compositeur Gheorge Enescu (1881 – 1955). A vingt ans, elle est arrivée en Suisse, dans le Jura. Puis, elle n’est plus repartie du Valais, conquise par la montagne et ses vignes, tourmentées. A VINEA, le 1er septembre 2017, elle a été distinguée par le titre de «rookie»par GaultMillau. Ce portrait était paru une année auparavant, dans le Matin-Dimanche.
Qui l’a croisée ne peut se détacher de son magnétisme. Certes, elle est très jeune — 33 ans. Mais elle a déjà accompli un parcours professionnel à la force du poignet.
Quand elle évoque la biodynamie, qu’elle pratique dans ses vignes par pragmatisme et non dogmatisme, elle sait de quoi elle parle : quand elle suivait les cours de l’Ecole d’agriculture (et de viticulture) de Châteauneuf, elle est allée en stage au Domaine de Beudon, de Jacky Granges, un pionnier du bio en Valais, décédé, ce printemps, dans un accident de tracteur, dans ses vignes de Beudon.
2015, ses premiers vrais vins
Lorsqu’elle évoque son amour pour les cépages valaisans, elle sait de qui tenir. Car, tout en suivant les cours d’œnologie à Changins, elle a travaillé, dans l’ombre de la cave, chez Marie-Thérèse Chappaz, aujourd’hui bluffée par les vins de sa jeune consœur, les 2015, la première gamme qu’elle signe.
Un millésime curieux que ce 2015 : le climat de grande chaleur rappelle 2003, l’année de la canicule… et de l’arrivée de la jeune Roumaine en vacances chez des paysans à Soubey, dans les Franches-Montagnes (Jura), pour apprendre le français. Surtout, sans maladie, sans mouche suzukii, 2015 n’a causé aucun problème à la vigne. En cave, c’est une autre histoire, tant il fallait de doigté pour révéler les promesses d’une année hors norme…
Valentina Andrei n’applique aucune recette toute faite. Elle suit son instinct pour élever ses vins, «comme des enfants», dit-elle, elle qui n’en a pas (encore) et voulait devenir sage-femme en Roumanie — comme Marie-Thérèse Chappaz ici! L’accouchement de ce millésime 2015 s’est fait sans douleur et quasi avant terme. «Il n’y avait pas de raison d’attendre pour les mises en bouteille : les vins, blancs et rouges, étaient prêts. Si j’avais eu une baguette magique, je n’aurais pas agi comme ça : il a fait trop chaud et j’aime la fraîcheur dans les vins, comme pour les 2013 !».
Pouvoir mettre en bouteille au début du printemps tombait bien : la productrice changeait de rive du Rhône, déménageant sa cave de Riddes à Saillon, où elle a repris les locaux de l’ancien footballeur, puis vigneron, Fernand Luisier.
Des dizaines de micro-parcelles
Valentina s’est rapidement adaptée aux conditions valaisannes d’une viticulture morcelée. Elle travaille plusieurs dizaines de parcelles sur le territoire de onze communes (19 parcelles rien qu’à Fully). «Je commence à tailler en janvier. Je me lève à 4 heures du matin. Alors, désolée, si je parais plus âgée que je ne le suis», dit-elle, le minois mutin, dans son caveau, sous un plafond immaculé sillonné de poutres en forme de rayons de soleil.
Avec elle, on peut causer de tout. Des vignes. De la cave. De la dégustation. Les seules choses qu’elle déteste ? La paperasse («il y en a vraiment trop !») et l’ordinateur. Et elle n’aime pas trop la vente, non plus… Pour sa première vraie vendange — 8’000 bouteilles à écouler —, le bouche à oreille a bien fonctionné. Elle a aussi bénéficié d’un coup de pouce du destin, grâce au passionné de vin et spécialiste du marketing, Nicolas Wuest, et au vigneron-encaveur de Chamoson, Jean-Claude Favre. En 2013, ils l’ont intéressée au projet Magnificents, soit l’élaboration chaque année d’une cuvée haut de gamme originale, proposée à un cercle de clients exclusifs, via un site Internet dédié. Elle a signé une arvine-roussane en cuve. Désormais, elle fournit 2’000 bouteilles de vin pour ce circuit privilégié. Cette année, à Fribourg, la présentation de sa pure roussanne élevée en barrique, chez Pierrot Ayer, le président des Grandes Tables de Suisse, a dû être dédoublée… Grand succès ! «Ce vin s’accorde avec des fromages à point et le chef est ambassadeur du vacherin fribourgeois.»
Viticulture difficile en Roumanie
Rien ne prédestinait Valentina à la vigne. Son père travaillait dans la construction et toute la famille allait aux champs le week-end. Elle est la cinquième d’une famille de six enfants (deux garçons, quatre filles). «On avait 6’000 mètres de chasselas à Botosani, pour du raisin de table, et on faisait aussi un peu de vin pour notre consommation.» Elle passe un bac classique, maths et chimie, et, l’automne, s’en va dans les vignes de la coopérative de Cotnari, relancée par Ceaucescu pour redonner du lustre à un vin liquoreux, fameux à l’égal du tokay et du sauternes, au 18ème siècle. «On commençait à cueillir le raisin, de la grasa, à 3 h. du matin et on finissait au coucher du soleil.»
La jeune Roumaine aurait-elle pu devenir vigneronne dans son pays, à l’économie vitivinicole prometteuse ? «Impossible. Il faut des relations. En Suisse, quand tu travailles, tu peux réussir. Et plus c’est dur, mieux c’est. Ca me motive.» Un de ses frères est venu lui donner un coup de main ce printemps. «Ma mère n’aime pas ce que je fais. Elle est triste que je n’aie pas d’enfants comme mes sœurs. En Roumanie, les paysans ont les mains sales. Je mets des gants pour retourner chez moi», dit-elle, dans un français précis, joliment imagé, avec une discrète pointe d’accent — le roumain est aussi une langue latine. «De toute façon, aujourd’hui je connais plus de monde ici que là-bas.»
Ses enfants? 20’000 ceps et 40 barriques!
Ses enfants, aujourd’hui, dit-elle au fil de la conversation, ce sont tantôt ses vignes, souvent de… vieux ceps, et tantôt ses quarante barriques, dont plusieurs ont été reprises du vigneron genevois Jean-Pierre Pellegrin. Et sa «seconde» famille, un réseau local: «Souvent des vignerons d’une génération plus âgée que la mienne et pas les jeunes du village. J’ai toujours aimé le Valais. Les gens sont simples et se parlent. Et ceux qui t’aiment, t’aident», confie-t-elle. Plusieurs se sont retrouvés ce printemps pour assurer les traitements viticoles du Domaine de Beudon, après la disparition de Jacky Granges.
La jeune femme travaille, avec un employé à l’année, 4 hectares de vignes. Une moitié louée, l’autre acquise grâce à un prêt à usage viticole. «Je n’aimerais pas grandir, car je veux aller à la vigne. Il me faut un jour et demi chaque semaine pour contrôler mes ceps et faire le tour de mes parcelles.» Quand bien même «la vigne doit être un peu libre. Comme un enfant qu’il faut surveiller, mais aussi laisser se débrouiller par lui-même.»
Pour disposer de quelques vieux ceps de cornalin, elle a dû accepter de louer une parcelle de chasselas… Du coup, la voilà avec trois fendants, désignés par leur terroir «de naissance», et auxquels elle applique une vinification différenciée : «J’aime ce terroir qui s’exprime à travers le chasselas qui est aussi le cépage le plus apte à permettre ces nuances !» A chaque lieu, son mode de culture, là de vieux ceps taillés «en fuseau», ancien système valaisan du «gobelet» libre, mais aux branches plus longues, ici, des vignes «en cordon» sur fil.
Une virtuose de l’élevage
En blanc, outre les chasselas, un beau païen du village de Produit, tendu, sur des arômes de poire et d’abricot, légèrement vanillé par le bois, complète le tableau (avec la petite arvine — lire ci-dessous). En rouge, trois gamays, une syrah, peu expressive (à l’image d’autres 2015), un somptueux cornalin et Selena, un assemblage hétéroclite, parce que formé de pinot noir et de cabernet sauvignon et d’humagne rouge (une barrique de chaque), que la productrice ne «pousse» pas, mais qui ne démérite pas, avec son nez complexe de fruits noirs, une honnête puissance, une finale réglissée, et des tanins fins, comme pour tous ses rouges.
A la juger sur ce seul millésime, Valentina Andrei a tout d’une virtuose : elle maîtrise ses vignes — «je fais mes choix et je juge moi-même de l’équilibre de la charge» —, ses macérations, sans malmener les baies de raisin, ses vinifications — en «levures indigènes» en pieds de cuves — et l’élevage. Le parti pris de ne pas trop extraire, grâce à un pressoir vertical «où je ne mets pas plus de 400 kg de raisin à la fois à 50% de rendement», et l’élevage court en fûts usagés, sont des choix qui lui ont permis de jouer sur du velours en 2015… On est conquis par la maîtrise de chaque vin, explicitée dans ses moindres détails. Une belle leçon de dégustation : chaque caractéristique du produit final s’explique par le geste antérieur à la vigne ou à la cave. C’est ça l’alchimie du vin!
Mes trois vins préférés
Petite Arvine de Fully 2015
Un vin blanc aromatique, à l’attaque fraîche et aérienne ; beau volume en bouche, du gras, de la salinité finale et des arômes de grapefruit en rétro ; un vin mûr, rond, riche (2 g. de sucre), partiellement élevé en barriques usagées. La vigne est située sous Belle-Usine, à Fully. Plantée il y a une douzaine d’années, elle est taillée en gobelet, et n’a produit aue 380 g. au m2. L’autre petite arvine, de la Combe de Noutse, est cultivée à 700 m. d’altitude ; elle est plus dense.
Gamay Vieilles Vignes 2015
Nez puissant, de cerises ; belle masse de fruits rouges en bouche, avec une touche de marasquin ; du fruité, de la fraîcheur, sans arômes «viandés» de surextraction, et un grain de tanin remarquablement fin, avec une note boisée à peine perceptible. Ce gamay provient d’une vigne plantée en 1954, au lieu-dit Les Bans, à Martigny. Les raisins ont été sélectionnés : «Je vendange avec deux caisses, l’une réservée aux meilleures grappes.» Valentina vinifie encore un gamay de base, fruité et croquant, et un gamay (épuisé) issu de «vignes millerandées» (petites grappes qui se sont mal développéees au moment de la fleur).
Cornalin 2015
Nez un peu sauvage, d’herbes sèches, d’épices ; magnifique toucher de bouche, ample, gras, sur la cerise noire, les épices douces, la canelle ; un vin sphérique, d’une grande élégance. Les raisins proviennent d’une vigne de 1200 m2, à Chamoson ; ce vin rare est issu d’une macération longue de 6 semaines, sans pigeage (on ne «triture» pas le raisin), pour une barrique (325 litres) et une feuillette (140 litres), soit à peine 600 bouteilles.
Pour le millésime 2015, 13 vins entre 15.50 fr. (fendant générique) et 30 fr. (cornalin) et une arvine-roussane surmaturée 2014, cueillie grain par grain, obtenue avec ajout de raisins botrytisés, comme un tokay hongrois (38 fr. les 37,5 cl).
www.valentinaandrei.ch (en construction)
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