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Posted on 1 mai 2019 in Vins italiens

L’Alto Piemonte (Novare): l’«autre» Piémont

L’Alto Piemonte (Novare): l’«autre» Piémont

Le Piémont, entre le sud des Alpes et le Monferato et les Langhe, a totalisé jusqu’à 40’000 hectares de vigne, avant le phylloxéra et l’industrialisation. Il en reste 800 hectares dans l’Alto Piemonte, du lac de Viverone à Crodo, au nord de Domodossola. Découverte, ou plutôt, redécouverte !

Par Pierre Thomas, de retour de Novare

Ils sont avocats, universitaires, médecins, ingénieurs en mécanique, à Turin ou Milan, filles et fils de vignerons ou de propriétaires terriens. A 40 ou 50 ans, ils redécouvrent la vigne de leurs parents ou grands-parents, la replantent, et croient fermement — et fièrement — aux vins qu’ils produisent sur 2 à 15 hectares. S’ajoutent à eux de jeunes producteurs, qui se lancent dans la vinification, voire la bière artisanale… Il n’y a, sans doute, que le Priorat catalan, ou la région de l’Etna sicilien, pour afficher un tel dynamisme ! Fin mars, au château de Novare, la capitale du riz et du gorgonzola, mais aussi de tous les «nebbioli», sur cinquante caves présentes à la troisième édition de la foire-dégustation, «Taste Alto Piemonte», la moitié ont été fondées après 2000, les deux tiers après 1990, et 10 ont moins de 10 ans.

Les vignes de Guardasole sont vertes au propre et au figuré: le domaine est labellisé bio.

Dix DOC méconnues au Nord tout proche

Pourtant, d’ici cet été 2019, les «dénominations d’origine historiques» fêtent leur demi-siècle d’existence, avec, du 12 mai à Ghemme au 9 juin à Briona (DOC Colline Novaresi) et Fara, des dimanches dédiés à des visites dans chaque vignoble, et trois expositions vinicoles, du 25 avril au 5 mai à Ghemme, du 17 mai au 2 juin à Boca et du 22 au 30 juin à Sizzano. S’ajoutent Gattinara, la plus célèbre des appellations de la région, consacrée DOCG (l’unique de ce haut Piémont, avec Ghemme), et, du sud au nord, les DOC de Lessona, des Coste della Sesia, de Bramaterra, et, tout au nord, les Valli Ossolane, autour de Domodossola. Soit dix appellations au total…

Juste derrière le Simplon, donc, et, surtout le massif du Mont-Rose, le plus imposant des Alpes, après le Mont-Blanc, avec un versant italien littéralement himalayen. Cette barrière rocheuse et ces neiges éternelles jouent un rôle majeur dans le climat, rafraîchissant les coteaux, surtout la nuit en été, juste avant la plaine du Tessin et du Pô. Au nord, c’est la Suisse. Mais qui, de ce côté-ci des Alpes, a déjà dégusté des «nebbioli» de l’Alto Piemonte ? Et les vins de Domodossola, où deux caves, de Mateo Garrone et d’Edoardo Patrone, dans des styles différents, produisent des vins à base de raisins cultivés sur les rares terrasses qui restent dans ce paysage alpestre ? Les producteurs admettent que leur première cible reste le Milanais, la seconde, les Etats-Unis, et ses immigrants italiens de toutes régions, restés attachés aux vins de leur origine.

Quelques vignes sont encore cultivées en pergola, mais la majorité en Guyot.

Des vins nourris d’histoire(s) suisse(s)

Et qui se souvient qu’à Novare, les soldats confédérés, alliés au Vatican par la volonté du cardinal valaisan alémanique Mathieu Schiner, battirent ceux du roi de France, en 1513, avec l’ambition de faire de Milan un «protectorat»? Deux ans plus tard, la revanche du jeune François 1er fut implacable : à Marignan, en 1515, battus, les Confédérés durent renoncer à leur expansionnisme âprement arraché deux ans auparavant pour se mettre pour les trois siècles suivants au service de leur vainqueur, le roi de France ! Entre 1500 et 1849, Novare fut le théâtre de pas moins de quatre batailles… La dernière, en 1849, malgré la victoire des Autrichiens, amènera Victor-Emanuel II au pouvoir, pour favoriser l’unification de l’Italie. Le Comte de Cavour y joue un rôle prépondérant et fit servir du vin de Sizzano en banquet officiel…

Si les vignes se replantent, parfois au bulldozer, sur les coteaux de la Sesia, dans les Colline Novarese, la tradition a laissé des traces. Les appellations au nord de Novare se réclament du «supervolcan» de la Valsesia consacré par un géo-parc inscrit à l’UNESCO. Et c’est vrai, qu’en-dehors de toute analyse, on a pu reconnaître un goût et une texture de certains nebbiolos récoltés sur terres volcaniques héritage de 280 millions d’années proches des nerellos mascalese et cappuccio, propres à l’Etna, toujours actif aujourd’hui !

Une image symbolique des Colline Novarese: un nouveau vignoble sur fond d’usine abandonnée…

Une mosaïque de sols, de cépages et d’élevage

Cette mosaïque de terroirs, sols calcaires morainiques, porphyres et tufs volcaniques, ou graviers alluvionnaires, et d’exposition en coteau ou sur des terrasses, module les vins. S’y superposent les cépages. Le nebbiolo est le roi incontesté. Encore faut-il savoir qu’il existe 46 clones du cépage d’origine turinoise dans le catalogue. Et qu’en sélection massale, il constitue ses propres «biotypes» locaux : dans l’Alto Piemonte, on l’a longtemps appelé «spanna». S’ajoutent un cépage local en pleine redécouverte — en vin rouge jeune, peu cuvé, et frais — la vespolina. Puis l’uva rara, soit la bonarda novarese, et la croatina. Ces variétés peuvent entrer dans la composition des vins DOC en diverses proportions, avec 50% de nebbiolo — jamais moins —, les plus restrictifs exigeant 85% de nebbiolo (Lessona, Ghemme) et même 90 % (Gattinara).

A ces conditions viticoles s’ajoutent, dans la tradition italienne, les exigences d’élevage, de la plus large, en Valli Ossolane (Riserva, 6 mois de bois, qui tolère aussi le merlot, parfois vieux de plus de 80 ans), à la plus contraignante, la DOCG Gattinara, pour 24 moins d’élevage en bois (barriques ou plus grands fûts) et 36 mois pour la réserve, avec une mise en marché après trois, respectivement quatre ans d’élevage en cave

Il faut un vademecum pour s’y retrouver parmi les huit DOC et deux DOCG regroupées depuis vingt ans (1999) dans le «Consorzio di tutela nebbioli Alto Piemonte». D’autres transformations du raisin, comme la macération carbonique sur la croatina et la vespolina, le style amarone (raisins sèchés sur claies), le vin doux, le mousseux (avec du nebbiolo ou de l’erbaluce) et un peu de blanc, complètent la panoplie. La «seule variété autochtone blanche de l’Alto Piémonte» apparaît sans autre précision sur les étiquettes: il s’agit de l’erbaluce, que les vignerons des coteaux près d’Ivrea, ont réussi à protéger exclusivement dans leur propre DOC, Erbaluce de Caluso (au mépris des règles internationales qui interdisent à un cépage de devenir une appellation géographique : ainsi, les producteurs de prosecco ont dû débaptiser leur raisin en glera pour garder l’appellation Prosecco).

Les fûts de Slavonie, fabriqués en Autriche, sont à nouveau à la mode, comme dans les Langhe.

Une sélection parmi 100 vins

Parmi la centaine de vins dégustés, quelques belles réussites, comme le Mötziflon 2015, Colline Novaresi Nebbiolo DOC, de Brigatti, le «simple» nebbiolo 2015 et le vendange tardive 2013 d’Il Roccolo di Mezzomorico, le Giulia 2009 de la cantine ultramoderne de l’entreprenant Enrico Crola, le remarquable Prünent 2016 (100% nebbiolo) de Garrone (Domodossola), le Bramaterra 2015 d’Antoniotti et le Bramaterra Riserva 2015 de La Tur, le Lessona La Provestura 2015 (100% nebbiolo), les deux Boca 2015 de Guardasole (en bio) et 2013, très classique, lorgnant vers le style des Langhe, de Garona, les cinq Ghemme 2012 de Pietraforta (1ermillésime !), Santa Fé 2013 de Ioppa, Riserva 2013 de Rovelotti et Vigna Cavenago 2011 de Mirù et les trois Gattinara (tous 100% nebbiolo), Galizja 2012 d’Il Chiosso, Riserva 2012 de Luca Caligaris et Osso San Grato 2014 (année pluvieuse, très difficile…) d’Antoniolo, une référence de l’Alto Piemonte, qui est aussi le domaine de la présidente du Consorzio, Lorella Zoppis.

Ce dernier cru, parmi les plus chers de l’Alto Piémont, est proposé par CAVE SA à Gland. Et on a regretté que le grand domaine de Gattinara, Travaglini (distribué par Aligro et Alfavins) et Anzivino (Bluepointdistribution, Lausanne), présents en Suisse romande, n’exposent pas à «Taste Alto Piemonte». Pas plus que le pionnier suisse du «renascimento» de la DOC Boca, Christoph Künzli, dans son domaine de Le Piane (qui fait cave ouverte du 27 au 29 avril). Il a repris, il y a vingt ans, les vignes d’un des derniers producteurs, cultivées en «magiorina» (photo ci-dessous).

Carte orientée nord-sud: le Mont-Rose est en haut, au nord, Turin au sud-ouest (à gauche, en bas) et Milan au nord-est (à droite, en bas).

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 30 avril 2019.

Une version légèrement différente est parue sur le blog Les 5 du vin.

©thomasvino.ch