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Posted on 23 novembre 2020 in Tendance

Vully : deux cuvées «bipolaires»

Vully : deux cuvées «bipolaires»

Ce sont deux vins d’assemblages rouges parmi les plus chers de Suisse — et les deux proviennent du Domaine du Petit-Château, à Môtier/Vully (FR). Tous les trois ans, la famille Simonet les propose. Dégustation… à l’aveugle.

Par Pierre Thomas

D’accord, il n’y avait qu’une chance sur deux de se tromper. Quand j’ai reçu ces deux vins, emballés dans leur papier de soie, je ne les ai pas déballés, mais posés devant mon verre de dégustation. A main gauche, le no 1, à main droite, le no 2. Trois heures plus tard, les mêmes vins ont été servis à un quatuor d’ami(e)s, qui apprécient les (bons) vins sans les disséquer. Eh bien, ni pour l’un, ni pour les autres, il n’y eut besoin de photo finish : le no 1 paraissait, ce jour-là, nettement supérieur au no 2. Au déshabillage, la surprise n’en fut pas une — il est rare que le lion mange le dompteur : Initial 2018 a devancé Associé 2018.

Entre Grand Or et Or

Mon verre de gauche (Initial 2018), je l’avais noté ainsi : «Robe foncée à reflets carmin ; beau nez, avec des notes de vanille, mais aussi de mine de crayon, de graphite ; en bouche, arômes de cacao, d’écorce d’orange ; attaque puissante, large, enveloppante ; bon soutien acide ; retour sur des notes de graphites en fin de bouche ; un vin dense, long, sur des tanins jeunes et fermes ; apte à vieillir une bonne dizaine d’années. 95/100»

Mon verre de droite (Associé 2018) : «Robe foncée, reflets violine ; légère réduction, nez d’encre, voire d’encre de seiche ; attaque légèrement épicée ; milieu de bouche sur ces notes d’encre de seiche ; tanins serrés ; matière dense, légèrement sèchée en fin de bouche, avec une pointe d’amertume ; apte à vieillir dix ans. 90/100.»

Soit l’écart entre une médaille grand or et or, dans un concours international: qui osera, un jour, comparer à l’aveugle la petite vingtaine de cuvées rouges de haut de gamme, élevées longuement, en Suisse, du côté de Genève, Vaud, Valais, Neuchâtel et Tessin?

Un assemblage insolite

Sur le papier, ces deux vins (d)étonnaient. Ce qui les rapproche d’abord : deux vins rouges de cépages récoltés en fin de vendanges sur le magnifique millésime 2018, au domaine du Petit Château, dans un vignoble certifié demeter (en biodynamie). Elevage quasi-identique pour les deux cuvées, qui sont une sélection de barriques pour le 1er vin (Initial) et le 2ème (Associé), soit 22 mois d’élevage en fûts, avec entre 70% et 66% de bois neuf.

Première surprise, vrai piège pour dégustateur : en 2018, l’assemblage, de 60% de merlot et de 40% de diolinoir pour Initial, et, proportion exactement inversée pour Associé, 40% de merlot, 60% de diolinoir. Deuxième surprise : l’assemblage bipôle, avec un cépage suisse, le diolinoir, croisé en 1970 à Changins par le père du gamaret/garanoir/mara, André Jaquinet, entre le pinot noir et le «rouge de Diolly» (domaine au-dessus de Sion du légendaire Henry Wuilloud) qui s’avéra du robin noir, un ancien cépage de la Drôme (France), ramené en Valais dans les années 1920.

Pour Fabrice Simonet, l’œnologue de la famille, le «diolinoir a, chez nous, une dimension très proche de celle du cabernet sauvignon : il amène de la structure, alors que le merlot confère de la finesse». Quant au merlot, cépage réputé «plastique» et qui s’adapte à de nombreux climats et sous-sols, sa présence est ainsi pleinement justifiée — le côté graphite est même une de ses signatures !

Deuxième surprise : en 2018, il y a davantage de 1er vin, 2’000 bouteilles au prix de 97 francs, que de 2èmevin, 1’300 bouteilles au prix de 65 francs. Pionnier des cépages tardifs dans le Vully, plantés par Eric Simonet au début des années 1990, tels les cabernets, la syrah, le diolinoir et le merlot — qu’il faut tous savoir attendre jusqu’à la maturité phénolique — mais aussi, à leur limite de plantation, avec l’assurance que le sucre de s’emballe pas prématurément, comme sur le merlot à Bordeaux ou au Tessin… Le Petit Château en cultive 2,5 hectares. Rendement bas et tri à la vendange sont des conditions sine qua non pour obtenir des raisins dignes de ces cuvées… Elles ne sont du reste produites, depuis 2011, que dans les grands millésimes : 2011, 2015 et 2018, avec un millésime de plus, un peu de 2014, pour Initial.

Un troisième vin pas en reste

On n’a pas parlé de «second» vin, mais de 2ème… Parce qu’il y a un 3ème vin, «Noblesse», produit depuis 2005, et qui a ouvert la voie aux deux autres. En 2018, sur une base de 50% de merlot, il est complété de 25% des deux cabernets, franc et sauvignon. Les vins de chaque cépage sont élevés séparément, avant le choix des barriques pour l’assemblage (ou le prolongement de l’élevage), après 18 mois, pour «Noblesse» (à 29 fr. la bouteille). Le 2018 est moins «mystérieux» que ses deux «aînés», puisque sans diolinoir, mais tout à fait remarquable : à la matière mûre et complexe du merlot s’ajoutent des notes discrètement variétales, de poivron rouge grillé, du cabernet. Tout-à-fait intéressant : 90 points, même si je ne l’ai pas dégusté en parallèle des deux autres. Et quasi-inoxydable : j’ai terminé une bouteille à un tiers vide qui avait séjourné une semaine, certes au frigo à 5 degrés, et dans un flacon fermé hermétiquement (mais sans vide d’air), sans la moindre oxydation… De la belle ouvrage !

Ces vins peuvent être dégustés du 17 au 23 décembre au Domaine, inscription obligatoire sur www.lepetitchateau.ch

©thomasvino.ch