Les Frères Dutruy: un vieux rêve réalisé à Lavaux!
Pour les 15 ans de la reprise du domaine familial, les frères Dutruy, de Founex, à l’ouest de La Côte vaudoise, s’offrent un domaine de 2,3 ha au cœur du village d’Epesses, Lavaux. Les deux premiers chasselas de 2020 arrivent sur le marché.
Les «grandes maisons» de La Côte, Schenk et Hammel, ont leurs terres réservées à Lavaux. Que des vignerons-encaveurs s’y installent est une autre histoire… «On est de Luins. Pour mon grand-père, pousser plus à l’ouest, à Founex, était déjà une curiosité, qui s’explique par la création d’une pépinière viticole au début du 20ème siècle. Et si j’avais dit à mon père que j’allais acheter des vignes à Lavaux, il m’aurait répondu : tu te fous de ma gueule ? Lavaux, c’est la tête des vignobles vaudois», raconte Jean-Jacques Dutruy, 76 ans. Quinze ans après avoir remis son domaine de Terre Sainte à ses fils, Christian, qui se dédie principalement à la pépinière viticole, et Julien, œnologue diplômé de Bordeaux, ont réussi à mettre la main sur un peu plus de 2 hectares à Lavaux.
Des Lavaux vinifiés à La Côte
Il leur a fallu deux ans de négociations avec le vendeur, le vigneron Alain Paley, membre de la Baronnie du Dézaley, qui a renoncé à son métier, pour acquérir les vignes, à Epesses. Ces prochaines années, le raisin sera, comme en 2020, acheminé à Founex, où les Frères Dutruy disposent d’une cave ultramoderne, achevée en 2015. Dans leur «vignoble de Lavaux», 80% de chasselas, alors que les 26 hectares sur La Côte sont très diversifiés, avec un accent sur les rouges, dont le gamay. Les Romaines Grande Réserve est le seul représentant de ce cépage à la Mémoire des vins suisses. Ainsi que leur gamay haut de gamme millésimé.
Pour Julien Dutruy, «nos deux chasselas de La Côte sont plus fruités, plus intenses, tandis que l’Epesses grand cu et le Dézaley, AOC grand cru, offrent plus d’opulence, de notes minérales crayeuses. Ils ont plus de fond, plus de vinosité, plus de potentiel de garde. Il faudra les suivre sur cinq ans !» C’est aussi le temps que se donnent les deux nouveaux propriétaires pour convertir les vignes de Lavaux au bio : depuis le millésime 2018, leurs vins de La Côte sont certifiés en «bio fédéral», mais le vigneron tâcheron choisi à Epesses, l’expérimenté Toni Figliola, et son fils Salvatore, travailleront en PI (production intégrée). Ils l’avaient déjà constaté à La Côte, le chasselas n’est pas le cépage le plus aisé à travailler en bio, en raison de sa sensibilité au mildiou et au stress hydro-azoté.
Faire ressortir le terroir
Les frères, aujourd’hui quadragénaires, avaient débuté leur carrière de vignerons et œnologues à Lavaux. Christian, chez Jean-François Chevalley, à Treytorrens, et Julien, chez Jean-Luc Blondel, à Cully. «On l’a pilé dans ce vignoble… On était au bord des larmes quand les sarments, au printemps, nous fouettaient le visage», raconte l’aîné. Pour bien marquer les différences de terroirs, ils entendent proposer des vins en sélection parcellaire. Les Cheneaux, 1,3 hectare juste au-dessus des maisons d’Epesses, est disposée en six «charmus» (terrasses) séparées par des murs (qu’il a fallu en partie refaire…) entre deux «coulisses» (voie d’eau qui ont donné le nom au lieu-dit), d’un terrain riche en limon et en argile. Une autre parcelle, La Donjanne, sur 7’000 m2, plus riche en gravier, est en hauteur, et a été replantée en deux sélections de chasselas, l’ancien «bois rouge» et le très répandu «fendant roux». S’y ajoute une petite parcelle, La Grangettaz, près de la Tour de Marsens. A terme, ces trois chasselas formeront une gamme avec le dézaley, provenant de vendange achetée, élevé en barriques de huit vins, tandis que l’épesses a été passé en fûts de chêne suisse de 2’500 litres. En rouge, un peu de plant robert et, surtout, de la syrah, déjà replantée au pied des murs des Cheneaux, complètent l’encépagement.
Si les frères Dutruy ne vinifieront pas sur place, l’ancienne cave, à rénover, devrait servir à l’élevage des vins et à l’accueil des clients, car ces crus de Lavaux sont destinés à davantage faire connaître la «cave suisse de l’année 2017» outre-Sarine.
Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 2 juin 2021.