Vins rouges vaudois à double sens
A Soleure, le label Terravin a consacré les meilleurs vins rouges vaudois. Et l’Office des vins vaudois (OVV) a mis sur le marché ses premiers «Escargots rouges», le «nouveau vin rouge vaudois», destiné à amadouer la clientèle alémanique. Des vins de même origine mais qui n’avancent pas dans la même direction!
Par Pierre Thomas
Grouper les deux manifestations tenait du défi. Celui que pourrait rencontrer l’«escargot rouge» : va-t-il, s’il s’impose sur le marché, projeter une image du vin vaudois à l’opposé de la majorité de ses rouges? Car les vins rouges vaudois sont en principe secs, même si les hautes maturités des années chaudes ne permettent pas de transformer complètement le sucre du raisin en alcool. Les Lauriers de Platine de Terravin ont donc consacré deux vins des Côtes-de-l’Orbe, qui passent depuis vingt ans et leur résurrection, comme potentiellement les meilleurs terroirs à rouge du vignoble vaudois, au pied du Jura, hors du bassin lémanique et pas encore dans celui des Trois-Lacs. Trois ténors sont souvent cités : le précurseur Christian Dugon, le président de l’AOC, Benjamin Morel, de la Cave du Château de Valeyres, et Pierre-Yves Poget, Cave Mirabilis. Les Côtes-de-l’Orbe tiendront salon les 12 et 13 novembre 2021, pour la troisième fois, à Daillens.
Un quatrième mousquetaire
Le vainqueur du jour, Bernard Gauthey, s’impose comme quatrième mousquetaire… Parmi les 16 «coqs» du label Terravin dégustés par les experts en 2020, ce vigneron d’Arnex-sur-Orbe avait réussi à placer quatre vins, présélectionnés à l’aveugle. Son gamaret en barrique 2019, avec ses notes fraîches de sureau et de cassis, et une finale épicée, au boisé bien maîtrisé, a triomphé, par 15 votes à 8, de son voisin d’Agiez, Pierre-Yves Poget, au gamaret-garanoir 2019, puissant, réglissé, aux notes fumées marquées d’élevage en barriques.
Ce verdict intéressant consacre un cépage, le gamaret, issu de la recherche à Changins, souvent décrié, en raison d’une dégénérescence prématurée des ceps. Un autre gamaret-garanoir-mara, Les Abbesses 2018, de la famille Perey, vignerons-encaveurs à Vufflens, se classe 4ème, derrière un Dézaley rouge 2018, d’Antoine Bovard, à Cully, assemblage de pinot, merlot, syrah et cabernet-sauvignon. Le jury était composé de professionnels et journalistes romands et alémaniques.
Et si la communication du label Terravin est encore axée principalement sur le chasselas (auxquels sont attribués des Lauriers de Platine blancs en novembre), rappelons que la cocarde dorée des «lauriers du terroir» peut récompenser des vins vaudois de tous cépages et de toutes couleurs.
Un escargot piégé par l’AOC…
L’occasion était rêvée pour l’OVV de présenter l’«Escargot rouge». Le directeur de l’OVV, Benjamin Gehrig, a vanté ce «nouveau vin rouge vaudois» né d’un «projet fédérateur», initié par l’interprofession du vin vaudois. L’opération ne fait que débuter : les premiers vins sont sortis de cave ce 1er septembre. Une cinquantaine de producteurs se sont dits intéressés par la «charte de qualité».
Pour promouvoir des «vins vaudois», le passage obligé est l’appellation d’origine contrôlée (AOC). Là où le groupe vaudois Schenk rencontre déjà un grand succès avec des rouges à «indication géographique protégée» (IGT) aux noms de marque italiens, qui peuvent être «dosés» en sucre grâce à un ajout de «moût concentré rectifié» (MCR), et qui sont présentés tel le «Piacere» (200’000 bouteilles vendues !) par un distributeur alémanique comme «un vaudois au tempérament italien», tandis que l’Ancora 2019, à 85% galopa et 15% de merlot, a décroché une grande médaille d’or au Concours Mondial de Bruxelles, l’OVV s’est heurté au strict respect de l’AOC.
Celle-ci interdit l’usage du MCR ! Résultat, il faut soit garder du sucre résiduel dans un vin rouge ou assembler un vin rouge sec avec un vin issu de raisins séchés, qu’il faut filtrer de manière stérile ou pasteuriser, pour éviter toute refermentation en bouteille. Des opérations technologiques, pas à la portée de toutes les caves, et qui divisent les œnologues-conseils... Pour éviter tout dérapage qualitatif, notamment entre l’échantillon en cuve et la mise en bouteille, les «Escargots rouges» doivent passer l’épreuve de la dégustation par une commission de certification «ad hoc» de Terravin (sans attribution du label).
Jusqu’à 12 grammes de sucre résiduel…
Ces assemblages rouges sont proposés en deux gammes, Original et Sélection, sous une étiquette commune, mais avec des spécificités propres à chaque producteur. L’Original est vinifié en cuve, avec une sucrosité marquée (de 7 à 12 g/l) et peu de tanins, vendu 10 fr. (prix public), et la Sélection est élevée sous bois, avec une sucrosité plus faible (de 2 à 6 g/l), des tanins plus importants, et vendu 16 fr.. Ce ne sont là que des paramètres «conseillés» et non imposés, tant au niveau prix qu’au niveau sucre résiduel.
Plusieurs centaines de milliers de francs ont été investis dans cette opération. Elle se base sur un déploiement marketing important, notamment en supermarché, à destination des buveurs de Coca-Cola jeunes plutôt que des amateurs de vins éclairés plus âgés, et en Suisse alémanique plutôt qu’en Suisse romande. Les Vaudois espèrent détourner les amateurs de «primitivo» italien…
Après une batterie positive de tests menés à Zurich, ce sera le marché qui décidera de la réussite commerciale de ce successeur du «salvagnin», le rouge vaudois commun, mort de sa belle mort, après une relance sans succès. Les deux gros producteurs que sont La Cave de La Côte et le groupe Schenk ont du reste décidé de mettre sur le marché un vin commun, appelé Helix. Et Vinum avance que l' »Escargot rouge » vise les 200’000 flacons, notamment via la Coop…
Version actualisée d’un article paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 29 septembre 2021.