Jeunes ceps pour grand cru
A la veille des vendanges, l’«appellation Dézaley Grand Cru» a mis en avant sa jeune garde, au Clos des Abbayes, propriété de la Ville de Lausanne. La main sur le cœur, la relève a affirmé sa fidélité à la tradition de Lavaux.
«On est bloqués pour faire un vin plus jeune et différent. Le Dézaley doit rester ultratraditionnel», constate Basile Monachon. Pour celui qui est aussi le président des vignerons de Lavaux: «On est au pied du mur. Le chasselas plaisait à la génération d’après-guerre et le faisceau des consommateurs de Dézaley se réduit. La culture gastronomique favorise le vin rouge à table. Chez moi, ce sont les rouges qui me font vendre les vins blancs !». «Ici, on fait le meilleur chasselas du monde, ce serait dommage de voler de la terre pour planter des cépages résistants. Le réchauffement climatique nous permet d’éviter la chaptalisation et de supprimer la fermentation malolactique, mais on devra pouvoir irriguer les vignes», explique Titouan Briaux Chaudet, le fils de la nouvelle présidente de La Baronnie, l’élite autoproclamée de douze producteurs de Dézaley. Véronique Briaux Claudet a succédé à Luc Massy, qui devrait passer les rênes de son domaine à ses fils, Gregory et Benjamin. Ce dernier constate que le Dézaley, pour vivre, a besoin d’autre chose que des «touristes-photos», mais bien de clients.
Une minorité de «petits» jeunes
Avec ses 54 hectares classés en AOC Grand Cru, de haute lutte depuis 2013, à l’égal de son petit voisin le Calamin, le Dézaley se répartit en une centaine de propriétaires et se vend sous 65 marques ou étiquettes différentes… La douzaine de jeunes, avec un petit tiers de femmes, reste donc minoritaire. Manquent à l’appel les plus gros producteurs, ceux qui livrent à la grande distribution à prix cassés — oui, ça existe ! Ou le négociant Schenk décidé à redorer le blason de la marque Testuz, en encavant à nouveau du raisin à Treytorrens et qui, le jour-même, posait la première pierre de sa «Cité du vin», à Rolle, redimensionnée par rapport à son projet d’énorme cave d’il y a une quinzaine d’années.
Plutôt New York que Zurich…
Parmi ces jeunes, il y a les «hors-sol» plus ouverts au marketing, comme Bryan Tettoni (Arc-en-Vin) et Titouan Briaux (Chaudet). Tandis que le Lavaux-Vinorama, au pied du coteau sublime du Dézaley, vend 35’000 bouteilles aux touristes, le Lavaux Wine Bar, ouvert à New-York en 2020 par lui et l’ex-coopérative de Lutry, en écoule la moitié, mais à des prix qui font rêver : 54 dollars un Lutry servi avec une fondue à table et plus du double, 135 dollars, pour un Dézaley. Le bouillant entrepreneur n’hésite pas à décréter que le «Dézaley n’est pas adéquat pour faire du vin bio».
Ce qui n’empêche pas plusieurs producteurs d’adhérer au tout neuf «réseau écologique» qui a réussi à sensibiliser 60 domaines, et 370 hectares soit 60% du vignoble, pour rendre «Lavaux plus vert», en choisissant, dès mars prochain, des critères de viticulture dans un porte-feuille encourageant la biodiversité.
La nouvelle génération ne tuera pas cette poule aux œufs d’or, encore peu ambitieuse… Car, comme le constate le nouveau gestionnaire du site «Lavaux patrimoine mondial», Vincent Bailly : «C’est le vignoble qui est inscrit depuis 15 ans à l’UNESCO, pas son esthétique.»
Le soleil avait chassé l’orage et sur ces bons mots, il était temps d’aller boire un verre : de «vieux chasselas» de chaque année de naissance des «jeunes» présents. La viticulture suisse flirte volontiers avec l’oxymore !
Sur le net : https://www.dezaley.ch/fr/producteurs/
Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 21 septembre 2022.
©thomasvino.ch