Quel goût pour le vin réchauffé?
Quel goût de réchauffé ?
Pas un jour sans qu’on parle de «réchauffement climatique» et de son influence sur la vigne. Entre «bilan carbone» et hypothèses à l’horizon 2050.
Pierre Thomas
Après la Champagne, le Bordelais s’est penché, cette semaine (le 12 février 2008) sur le «bilan carbone» de la filière vitivinicole. L’idée est de montrer que les vignerons se préoccupent des émissions de CO2. Les Champenois espèrent, par des mesures écologiques, réduire les leurs de 30% sur dix ans.
Dérisoire, bien sûr… mais un «signe psychologique fort». Car on sait que l’activité humaine est à l’origine du réchauffement climatique. Toutes les universités de la planète, de Melbourne (Australie) à l’Oregon (Etats-Unis), et les centres de recherches appliquées à la vigne, l’INRA français à Avignon-Montpellier et la station allemande de Geisenheim, sont sous pression.
Les effets de deux (petits) degrés
Le chef de l’Institut de viticulture et d’œnologie allemand, Hans Reiner Schultz, était l’invité d’Agroscope Changins-Wädenswil, au salon Agrovina, à Martigny, en janvier. Le scientifique a corroboré ce qu’on savait déjà. Un réchauffement, de 2 degrés Celsius, d’ici 2050, aura des conséquences importantes sur le cycle végétatif de la vigne.
La date de la floraison pourrait être avancée de 15 jours, voire d’un mois, selon des études menées en Australie, sur le chardonnay et le cabernet sauvignon. En France, on a déjà remarqué que le chasselas, à Colmar, avait fleuri deux fois jusqu’au 13 juillet dans les années 1980 et jamais après le 3 juillet depuis 1990, avec une floraison précoce autour du 13 juin, deux fois. Le principe viticole qui veut que les meilleurs vins sont issus de raisins à maturation lente est donc menacé. Autre effet, la modification du régime hydrique. Les années à venir pourraient cumuler les effets de 2003 (canicule et sécheresse) et de 2007 (pas d’hiver, mauvaise floraison, pluies abondantes en été, mildiou), sauvé des eaux grâce au soleil de septembre.
Avantage aux assemblages rouges
Les vins vont changer : les rouges, grâce à des assemblages de cépages, devraient s’en tirer mieux que les blancs, qui vont perdre leur acidité. C’est même, selon le professeur Schultz, le seul paramètre prévisible. En revanche, on ne connaît pas quel goût pourrait avoir un cépage dans des conditions extrêmes…
Déjà, en Avignon, le grenache et la syrah, sont cultivés à la limite de leurs possibilités. On pourrait imaginer de la syrah en Bourgogne et dans la Loire, puisque chaque degré de réchauffement fait reculer les limites de la culture de la vigne de 200 kilomètres au nord! La Suède, après l’Angleterre, la Hollande et la Belgique, devraient connaître un renouveau viticole. Ces contrées, devenues froides, étaient plantées en vignes au «Petit Age glaciaire», au Moyen-Age.
La marge de manoeuvre du viticulteur
Le choix du porte-greffe, l’enherbement des vignobles, la modification du rapport feuille-fruit pour tenir compte de la photosynthèse modifiée par le rejet de CO2 et l’arrosage au goutte-à-goutte peuvent corriger ces effets. Mais comment équiper les terrasses de la Moselle allemande, du Douro portugais? Ou du Valais et de Lavaux, même s’ils ne sont pas cités dans les études?
Les vins deviendront plus techniques aussi. En cave, les procédés qui permettent d’enrichir le moût par élimination d’eau (l’osmose inverse) peuvent extraire de l’éthanol et abaisser le taux d’alcool, tout comme la distillation («spining cone column»). Sans parler, comme aux Etats-Unis, d’ajout pur et simple d’eau (jusqu’à 15% du vin). Et de l’acidification massive de la vendange, déjà pratiquée largement dans les régions (trop) chaudes…
Une redistribution du vignoble mondial
Une grande partie de l’Australie (Barossa Valley, Hunter Valley), des vignobles méditerranéens (y compris le Chianti et la Rioja), le sud de la France et du Portugal et la Californie (Central Valley) risquent de subir les conséquences du réchauffement. Tandis que des régions plus proches de la mer, comme le Chili, la Tasmanie et une partie de l’Afrique du Sud, seront moins touchées.
En Europe, la Bourgogne, l’Alsace et d’autres régions à ce jour tempérées, dont la Suisse, verront leur climat évoluer, avec des étés toujours plus chauds. Mais, dans d'autres régions, cette évolution pourrait être contrebalancée par les effets conjugués de la fonte des glaces arctiques et de l’atténuation du Gulf Stream qui pourraient transformer le Bordelais en région ou submergée ou froide.
Paru dans Hôtel Revue du 14 février 2008.