Toscane: le salut par le sangiovese
Le salut par le sangiovese
Si le sangiovese en est le principal cépage, la Toscane ne sait pas toujours à quel saint se vouer. Monocépage ou assemblage? Réponse de trois Suisses installés entre Florence et Sienne.Pierre Thomas, de retour de Florence
C’est une constante en matière viticole: quand on pousse un cépage dans son dernier retranchement, à la limite nord, on obtient aussi les vins les plus complexes et les plus fins. A Florence, à l’occasion de la présentation du millésime («anteprima»), fin février, trois œnologues suisses, tous issus de l’école de Wädenswil, nous ont confié leurs convictions sur la question qui divise les Italiens : pur sangiovese ou assemblage.
Du merlot, par sécurité
Etabli au Poggio Al Sole (18 ha de vignes) depuis 17 ans, Johannes Davaz, est formel : «Nous avons appris à faire de grands sangiovese, grâce aux nouveaux clones mis au point par le pépiniériste français Guillaume et le Consorzio du Chianti Classico.» Les deux vins d’Al Poggio contiennent un petit pourcentage (5%) de merlot, pour le Chianti normal, et de cabernet sauvignon pour le Riserva. «Le merlot est une sécurité dans les années froides», explique le Grison.
Au domaine de la Villa Trasqua, 56 ha de vignes, dont le contrôle vient de passer d’un Saint-Gallois à un Hollandais, l’œnologue zurichois Andreas Stössel, montre aussi son attachement au sangiovese : le Riserva en est un pur, élevé à 30% en barriques et à 70% en plus grands fûts. «Le vin se fait à la vigne. En Italie, ce paramètre était souvent négligé. Moins de feuilles favorise la photosynthèse et la maturation des raisins, qu’on peut influencer en baissant les rendements. Et il faut faire les travaux sur la vigne au bon moment.»
Trois bons millésimes d’affilée
Reste qu’en Toscane, où l’altitude, la nature des sols et les orientations des parcelles varient, l’influence du millésime se fait toujours sentir. Depuis 2005, année moyenne pour cause de pluie durant les vendanges, les trois derniers millésimes affichent des caractéristiques bien différentes, mais sont qualifiés tous les trois de très bons. «2006 a toutes les qualités pour vieillir ; 2007 est plus ouvert, se donnera plus rapidement, avec des arômes très fruités ; et 2008, grâce à une pluie bien répartie qui a évité le stress hydrique et un automne ensoleillé promet, avec des vins qui ont beaucoup d’extrait et de couleur», détaille Andreas Stössel. «Suivant les années et les soins apportés à la vigne, le sangiovese peut être végétal et vert ou alors fruits rouges et même cerise», explique l’œnologue.
De la même volée à Wädenswil, Luca Triacca est installé en Italie depuis douze ans, à la tête de deux domaines, un grand, La Madonnina, de 100 ha, et un autre de 36 ha à Montepulciano. Le premier n’était qu’une réserve de chasse, achetée il y a quarante ans par son père, établi dans la vallée de Poschiavo (GR), où se situe toujours le siège administratif de la société. En tête des trois chiantis du domaine, La Palaia, un cru qui produit 30'000 bouteilles, tandis qu’ensemble, le Bello Stento et La Madonnina Riserva, cumulent vingt fois plus de flacons (dont 60% vendus en Suisse).
Le cabernet à la rescousse
Avec l’œnologue-conseil Vittorio Fiore, Luca Triacca a décidé d’assembler 15% de cabernet sauvignon au sangiovese de La Palaia. «Nous voulions compléter notre assortiment. Nous avons planté le cabernet, il y a quinze ans. Mais nous avons aussi replanté du sangiovese. En quinze ans, les choses ont énormément évolué. Aujourd’hui, il y a une trentaine de clones à disposition. Dès le départ, quand nous avons créé le vignoble, nous avions pris garde à diversifier, avec cinq clones. En fonction du sol et des expositions, nous avons doublé ce choix. On a changé de porte-greffe, de méthode de culture, désormais en cordon permanent, et abaissé les rendements.»
Pas de doute, le sangiovese évolue dans le bon sens et reste le cheval de bataille du Grand Duché. Même si le cabernet sauvignon (à hauteur de 10%) apporte une touche supplémentaire au Castello di Fonterutoli, du Marchesi Mazzei, et le merlot (15%) au Don Tommaso, du Principe Corsini, deux vins très réussis dans le millésime 2006.
Eclairage
Le Brunello «in purezza»
envers et contre tout
Grande épuration à Montalcino, après le scandale qui avait éclaté le printemps passé, juste après la présentation du millésime 2003, où le sangiovese local avait souffert d’un blocage de maturité à cause de la canicule et du manque d’eau, après un 2002 désastreux. Ce «Brunellogate» a défrayé la chronique sur Internet (y compris ici), en Italie et dans le monde anglo-saxon (le magazine VINUM vient de lui consacrer un dossier dans son édition en allemand de mars 2009). Finalement, les puristes ont gagné: à huis-clos et à une majorité quasi-soviétique, les quelques 250 producteurs du Consorzio ont juré fidélité au sangiovese. Les tricheurs, parmi lesquels de grands domaines, comme Banfi, ont dû déclasser une partie de leurs 2003, arrangés au merlot, au cabernet et à la syrah. Les Etats-Unis, plus gros acheteur (29%), ont obtenu une certification du Brunello, sur la base d’une analyse chimique permettant de garantir que le vin n’est produit qu’à base de sangiovese. A noter que la Suisse reste un très gros acheteur des meilleurs vins toscans : au cinquième rang, avec 7%, pour le Chianti Classico, au troisième rang, avec 7% également, pour le Brunello di Montalcino et même au deuxième rang, avec 27% (juste derrière l’Allemagne) pour le Vino Nobile di Montepulciano.
Paru dans Hôtel Revue du 12 mars 2009.