Le Monde et les vieux vins suisses
prennent de l'âge
Les vins suisses ont-ils la capacité de vieillir? Cette question taraude le milieu viticole helvétique depuis que le déclin des coopératives a rendu prospères les vignerons encaveurs indépendants, c'est-à-dire les viticulteurs qui, en Suisse, élèvent le vin de leur propriété et le vendent en bouteille sous leur responsabilité et leur étiquette.
Par Jean-Claude Ribaut
Pour mesurer si certains vins sont aptes au vieillissement, encore faudrait-il qu'ils soient conservés. Or, la majorité des vins produits (1 million d'hectolitres pour 15 000 hectares) sont à boire dans l'année et tous sont aussitôt vendus localement. L'export représente moins de 2 % du volume.
L'idée revient à quelques chroniqueurs spécialisés, autour d'Andréas Keller, d'avoir sélectionné, à partir de l'année 2000, la meilleure bouteille apte à la garde auprès d'une trentaine des meilleurs vignerons et d'avoir su les convaincre d'en céder soixante bouteilles par an à la Mémoire des vins suisses, association créée pour la circonstance.
Perlan, fendant ou dorin
La démarche n'est pas commerciale, puisque les stocks sont inexistants et s'appuie, selon Keller, sur une idée simple : « En matière de vin, le présent est le passé de demain. » Au-delà, il s'agit de renouveler l'image d'un vignoble éclaté en minirégions et innombrables microclimats (principalement Vaud, Valais, Genève, ainsi que le Tessin, la Suisse alémanique et la région des Trois-Lacs), et autrefois dominé par le chasselas appelé aussi perlan, fendant ou dorin, qui avait envahi 68 % du vignoble jusque dans les années 1950, proportion réduite à moins de 40 % aujourd'hui.
La première dégustation publique de ce trésor des vins suisses, limitée à trois millésimes depuis 2000, a eu lieu à Genève le 26 mars 2009. Premier constat, le chasselas dont on dit parfois – même en Suisse – « sitôt bu, sitôt pissé », révèle dans le millésime 1999 une bouche encore fraîche, équilibrée par des notes de noix et de fruits secs. Il s'agit, il est vrai, de la production de Louis Bovard, l'un des meilleurs vignerons de l'appellation Dezaley, dont la région offre vallonnements et collines jusqu'à Vevey. « Je suis d'un pays de lacs, de vignes, de forêts. L'eau y joue à part égale avec le vin sous le feuillage », écrivait l'auteur de «Vendanges», Charles-Ferdinand Ramuz, au milieu des vignes de Lavaux.
Une sélection bonne à vieillir
Du Tessin, le vin de Christian Zündel, Orizzonte 2000, assemblage à dominante de merlot, crée la surprise par sa structure ample et complexe alors que, plus jeune, il exprime une réelle finesse et des arômes fruités. Parmi les vins du Valais, la syrah vieilles vignes, de Simon Maye & fils, et la petite arvine grain noble, de Marie-Thérèse Chappaz, s'imposaient à l'évidence comme vins de bonne garde, de même que l'yvorne grand cru du château Maison Blanche (Vaud) de cépage chasselas, ou le cornalin d'Anne-Catherine et Denis Mercier. A noter aussi le pinot noir d'Henri Cruchon (Morges AOC) et celui de Weingut Pircher (Zurich).
La révélation de cette dégustation réside toutefois dans les notes balsamiques et les nuances de cuir et de vanille du comte de Peney, vin suisse de pays (2002), obtenu de haute lutte par l'acclimatation de deux cépages de garde du Bordelais, le cabernet sauvignon et le cabernet franc, réalisée voici vingt ans au domaine des Balisiers par Jean-Daniel Schläpfer et Germain Pillon.
A lire
Vignobles suisses, de Pierre Thomas et Régis Colombo (Favre éditions, 2003, 224 p., 44 €).
Article paru dans l'édition du Monde du 25 avril 2009.