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Posted on 20 novembre 2009 in Vins français

Caroline Frey, une madone entre deux mondes

Caroline Frey, une madone entre deux mondes

Caroline Frey, La Lagune et Jaboulet

Une madone entre deux mondes

Petite-fille d’un Bâlois, la jeune œnologue Caroline Frey est à la tête de La Lagune et de Jaboulet. Elle passe de Bordeaux aux Côtes-du-Rhône sans complexe.
Par Pierre Thomas
Brune aux yeux bleus, Caroline Frey, 31 ans, élancée et fine, a l’élégance des mannequins de haute couture. Si elle a passé toutes ses vacances dans la maison de son grand-père, à Villeneuve et «sur le lac», grâce à son père, un homme d’affaires établi dans la région lausannoise, elle est à la tête de plus de trois cents hectares de vignobles. En Champagne, où les raisins d’une centaine d’hectares sont livrés à la maison Billecart-Salmon, réputée pour son rosé. Dans le Haut-Médoc, où, sur 90 hectares, La Lagune est un troisième cru classé, rejoint depuis peu par un cru bourgeois, (la Tour du Haut Moulin), qui donne «Mademoiselle L». Et à Tain-l’Hermitage, où la famille Frey a racheté la maison Paul Jaboulet Aîné. Sans compter les cognacs Léopold Gourmel.

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Une disciple de Denis Dubourdieu
La jeune femme aurait pu se contenter de gérer un patrimoine et une image… Mais Caroline Frey a décroché le diplôme d’œnologue de la Faculté de Bordeaux, où elle fut une élève du fameux Denis Dubourdieu. On attendait donc «au contour» la major de sa promotion, là où le Rhône s’incurve, à Tain-l’Hermitage… La vénérable maison Jaboulet a été rachetée en 2006. «Plutôt renoncer qu’installer une des trois femmes héritières à la tête de la maison», avaient décrété les anciens propriétaires. En vendant, ils ont été exaucés de belle manière, puisque c’est une jeune femme qui, aujourd’hui, incarne «la madone de La Chapelle»!
Œnologue en parallèle à 600 km de distance, comment Caroline Frey jongle-t-elle? «J’ai des équipes techniques en place à La Lagune et chez Jaboulet. Je bloque deux jours à chaque endroit et je fais l’aller-retour en voiture en traversant la France.» Ouf ! L’autoroute via Saint-Etienne est ouverte depuis quelques mois seulement… Et dans un millésime idéal, comme 2009, les choses se sont enchaînées sans anicroche: «A peine avais-je terminé mes vendanges dans les Côtes-du-Rhône que je commençais à Bordeaux…» De l’une à l’autre région viticole, «les différences sont énormes . J’aime bien le côté humain, terre-à-terre, des gens de la vallée du Rhône, plutôt que les mondanités de Bordeaux», confie Caroline Frey.

De la fraîcheur d’abord
Tout, ou presque, oppose le Haut-Médoc, et ses cépages tels les cabernets, sauvignon et franc, le merlot et le petit-verdot, et les Côtes-du-Rhône, et leur variété fétiche, la syrah. Sans oublier les blancs, marsanne et roussane, mais aussi viognier, et plus au sud, grenache blanc et bourboulenc (qui se retrouvent dans la cuvée «Parallèle 45» en 2008). Les premiers changements, c’est par les blancs (20% de la maison) que l’œnologue les a apportés : «En trois ans, nous avons pris un grand virage, à contre-pied du caractère oxydatif. Mon goût va vers la fraîcheur et non sur le miel et la résine. Sur nos 110 hectares, nous sommes les premiers à vendanger. Nous vinifions en grappes entières et la fermentation alcoolique se termine en barriques, dont la moitié sont neuves.» On trouve le Chevalier de Sterimberg 2006 décidément trop boisé ? «Sur le 2009, je fais un essai avec des vinifications en inox, en barriques et en amphores en ciment. J’aurai ainsi une palette plus vaste pour obtenir le bon équilibre à l’assemblage.»

L’assemblage rassemble
L’assemblage, voilà le maître-mot qui réunit Haut-Médoc et Côtes-du-Rhône. Car «La Chapelle» n’est pas un cru, mais une sélection des meilleurs terroirs et des meilleures barriques. «Chaque année, on rebat les cartes. Notre vin doit être exceptionnel à chaque fois. Quitte à ne pas en produire certaines années. On l’a dit, dès le rachat, mais on ne savait pas encore que nous devrions faire l’impasse sur le 2008, déjà !»
La commercialisation de cette cuvée ne passe que par des œnothèques, comme Lavinia. L’enseigne, à Genève, dispose d’une collection : «Si nous vendons encore La Chapelle 1952, à l’unité bien sûr, ici, ils ont du 1986 que nous n’avons plus chez Jaboulet», explique Caroline Frey.

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Pas de GD pour Jaboulet
Pour toute sa gamme — issue de 110 hectares des propriétés et de la vendange achetée de 100 hectares —, la maison rhodanienne a renoncé à la «grande distribution». «Notre premier vin, La Chapelle, est tiré à 30’000 bouteilles par année, au maximum, le second vin, La Petite Chapelle, au même nombre. Et nous ne commercialisons pas d’hermitage générique: le reste est vendu au négoce local.» Un domaine récemment acquis à Châteauneuf-du-Pape (Terre Ferme) et une Côte-Rôtie complètent l’assortiment des appellations de la vallée du Rhône, à l’image des Guigal, Chapoutier ou Delas.                                   

Dégustation
Les deux «Chapelles» 2006

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La Petite Chapelle 2006 (99,50 fr. la bouteille), le premier millésime signé Caroline Frey, séduit pas ses notes de vanille, de cacao, avec une bonne structure, où l’on retrouve, en fin de bouche, le fruité aux nuances de violette de la syrah. Commentaire de l’œnologue : «Je ne suis pas une fan de la surmaturité : on cache le terroir avec le raisin confit.»
La Chapelle 2006 (215 fr. la bouteille) : nez moins exubérant que sa «petite sœur», mais notes d’épices orientales ; belle attaque, sur la fraîcheur et l’équilibre : malgré la jeunesse, tout est déjà en place ; belle densité, de fruits noirs non compotés, avec une finale minérale, à la fois élégante et persistante. La syrah s’exprime sans la moindre lourdeur, mais en finesse. A boire jeune ou dans vingt ans…

Article paru dans 24 Heures du 20 novembre 2009. (illustration: site Internet Jaboulet)