Le champagne contre Champagne (Vaud)
Par Pierre Thomas
A moins d’être jugée irrecevable, la procédure entamée contre l’accord agricole du 21 juin 1999 entre la Suisse et l’Union européenne pourrait durer deux ans. Deux avocats prestigieux, professeurs d’université, le Lausannois Pierre Mercier et le Bruxellois Denis Waellbroeck, ont étudié avec passion le cas posé par la commune vaudoise, une première européenne.
L’accord ratifié par Berne, puis par la Communauté européenne, assure la “dénomination Champagne” d’une “protection exclusive”, réservée à la région française. Les Vaudois auraient deux ans pour écouler “certains vins”, et encore, hors de la Communauté. Après, plus trace de l’appellation, bannie de toute étiquette. “C’est comme si on expropriait de son nom un village”, constate l’avocat belge, spécialiste des affaires européennes.
Une résistance organisée
Et c’est ce qui indigne le plus Albert Banderet, syndic de 1986 à 1999, de ce village de 700 habitants, mi-paysan, mi-industriel aussi depuis plus d’un siècle. Devenu préfet adjoint du district de Grandson, ce solide gaillard empreint de bon sens terrien avoue “avoir beaucoup appris”. Il est paysans d’abord, viticulteur ensuite sur moins d’un demi-hectare. Son heure de gloire, il l’a connue à mi-décembre 1998 lorsque, coup sur coup, il dut aller défendre la cause de son village devant les caméras de télévision d’Arena, puis de Droit de Cité. Ensuite, la résistance s’est organisée.
Tout naturellement, Albert Banderet a pris la tête du Comité de défense de l’appellation Champagne. Il a réussi à grappiller un peu moins de 70’000 francs nécessaires à sa croisade juridique, avec le soutien des propriétaires-vignerons et de la Fédération vaudoise des vignerons, et de donateurs, mais sans que la commune ait mis un centime dans l’affaire, du moins pour l’instant.
Un coup de pub aussi
Car les seuls visés sont les vignerons. Sur les 43, 37 livrent leur raisin à la Cave des viticulteurs de Bonvillars. Sa cuvée “Bonvillars”, en “vin tranquille” blanc et rouge, n’a jamais mieux marché qu’aujourd’hui, grâce au tam-tam de “l’affaire”: “On en vendait jusqu’alors 40’000 bouteilles, aujourd’hui, plus de 130’000 et nous avons un potentiel d’un peu plus du double”, détaille Albert Banderet. Partant, l’application au pied de la lettre de l’accord bilatéral entraînerait un manque à gagner annuel de plus d’un million de francs. Les vins blancs — l’écrasante majorité — devraient être vendus en vrac et le pinot-gamay sans désignation communale. Pour l’Office vaudois de la viticulture, “un manque à gagner de 4 francs par mètre carré, soit l’équivalent des frais de production, n’est pas supportable pour une appellation communale”. Sans compter que Champagne devrait être expressément exclue de la législation vaudoise sur les appellations d’origine contrôlée, qui dit que “Le vin récolté sur le territoire d’une commune a le droit à l’appellation de cette commune.”
Contre la loi du plus fort
Mais Albert Banderet, qui a résisté jusqu’ici aux sirènes des nein-sager — “La commune a dit oui à l’Espace économique européen par 74% et nous sommes favorables aux accords bilatéraux!” —, préfère parler “philosophie” et histoire. “Depuis 885, quand elle apparaît sous le nom de Campagna, Champagne a été identifiée comme commune légitime et reconnue”, dit-il avec force. “Nous enlever le droit d’appeler notre vin du nom de la commune est une atteinte à l’identité. On a souci qu’on passe à la trappe!”, s’inquiète le sous-préfet de Grandson, dont la famille est bourgeoise des deux communes, Champagne et le chef-lieu de district.
Jusqu’au bout, les vignerons de Champagne se battront “pour que la loi du plus fort ne règne pas dans une communauté cohérente et pacifique.”