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Posted on 4 octobre 2012 in Vins suisses

Grains nobles: cet or qui scintille

Grains nobles: cet or qui scintille

Les vins liquoreux sont les joyaux de nombreux vignobles (Sauternes, Tokay, Alsace). En Valais, depuis quinze ans, les meilleurs vignerons observent les strictes règles de la Charte Grain Noble ConfidenCiel.
Par Pierre Thomas
Les «liquoreux» attisent les superlatifs. Leur slogan, «Quand le ciel s’unit à la terre pour créer l’exception», décode la curieuse écriture du label, «Grain Noble ConfidenCiel», que seuls les meilleurs vins, jugés en dégustation à l’aveugle, peuvent afficher sur la bouteille. S’y entremêle «ciel» et «confidentiel» : sans une météo favorable en arrière-automne, pas d’espoir de vins liquoreux en hiver ; et les grands liquoreux valaisans sont effectivement «confidentiels». «20’000 litres produits sur moins de 10 hectares (sur les 5’000 du Valais), à raison de 2,5 dl par mètre carré», résume Emmanuel Charpin, œnologue et président de la charte. Le plus souvent, ces nectars sont embouteillés en demi-bouteilles de 37,5 cl. Ils restent exceptionnels et souvent réservés au dessert.
Une tradition prolongée
Depuis toujours, les Valaisans conservaient quelques grappes de raisin sur les ceps. Avec le temps, et le vent chaud, le foehn, ces baies se dessèchent plus ou moins. Les vignerons nommaient alors leurs vins «flétris» ou «mi-flétris». Peu se souciaient de deux facteurs essentiels dans l’élaboration des grands vins liquoreux, comme à Sauternes ou dans la Loire, mis en lumière par Stéphane Gay, l’œenologue fondateur du mouvement (et mari de l’icône de Provins-Valais, Madeleine Gay).
Le premier, c’est le botrytis cinerea. Sous ce nom latin se cache un champignon. Avant l’alternance des pluies d’automne et du foehn, le botrytis est redouté par les vignerons. Il se transforme en un duvet de pourriture grise : le raisin prend un goût de moisi. Un fléau ! Miraculeusement, la même souche de champignon, sur des raisins dèjà partiellement desséchés se transforme en «pourriture noble». Des études scientifiques ont démontré que le botrytis modifie profondément l’acidité et les arômes, au cœur des raisins.
L’autre facteur assurant longévité, c’est l’élevage en bois. Les signataires de la charte s’engagent à garder leurs vins au moins douze mois dans des fûts, souvent des barriques neuves de 225 litres. Le goût vanillé du chêne augmente la complexité, en se fondant avec le temps. Emmanuel Charpin carresse le projet de mettre ces vins sur le marché au moment où ils atteignent une maturité suffisante pour être appréciés. Certains n’arriveront à ce sommet d’expression aromatique qu’après 5, 10, voire 20 ans.
Des modulations presque infinies
Les paramètres sur lesquels le vigneron et l’œnologue peuvent jouer sont infinis : cépages (cinq autorisés), date de vendange (parfois en janvier de l’année suivante), etc. Avec pour résultats des vins à multiples facettes. Couleurs à l’œil: du jaune brillant au brun cuivré. Parfums au nez: citron vert, rhubarbe (petite arvine), coing, abricot (malvoisie, amigne), eau-de-vie de framboise, truffe blanche (ermitage). Arômes en bouche : abricots secs, orange confite, mais aussi bergamote (thé Earl Grey), figue, miel, d’accacia à la châtaigne en passant par le bourgeon de sapin, puis caramel, cacao, épices douces. Une certaine acidité est recherchée, qui se combine avec une douceur plus ou moins imposante, héritée de la concentration naturelle de sucre dans les raisins. Le botrytis et l’alcool ajoutent une forme de «stabilisation» dans la recherche de l’équilibre.
Aujourd’hui, une trentaine de producteurs ont signé la charte. On peut affirmer, dégustation à l’appui, que chacun cherche sa propre voie, entre la puissance (Marie-Thérèse Chappaz, Provins-Valais, Philippe Darioli, Fabienne Cottagnoud, Denis Mercier), gage de longévité, et l’accessibilité plus immédiate (Domaine du Mont d’Or, Rouvinez, Jean-René Germanier, Benoît Dorsaz, Robert Taramarcaz, Thierry Cosntantin). La classification est réductrice : la courbe des premiers vins rejoint souvent celle des seconds. Et si cette multiplicité d’arômes ne simplifie pas le choix de l’accompagnement gastronomique, on peut se satisfaire d’un nectar liquoreux : «vin de méditation», disent les Italiens. En tête-à-tête. Pour le seul plaisir !
*L’Oenothèque du Château de Villa, à Sierre, propose de nombreuses références de la Charte Grain Noble ConfidenCiel. Compter 30 à 50 francs la demi-bouteille (37,5 cl).
**Sur le net : www.grainnoble.ch
***La dégustation 2012 des meilleurs Grain Noble ConfidenCiel.
Article paru dans le magazine encore! du 7 octobre 2012 (pdf ici).
©thomasvino.ch