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Posted on 16 janvier 2005 in Conso

L’image floue des blancs d’Alsace

L’image floue des blancs d’Alsace

L’image floue des vins d’Alsace
Plus vaste région française à produire des vins blancs secs et aromatiques, l’Alsace a affaire à la forte concurrence locale du chasselas, en Suisse. Le bilan de notre banc d’essai est en demi-teinte, pour des vins communs.
Par Pierre Thomas
Selon les douanes françaises, en 2003, la Suisse a importé 90% de vins blancs d’Alsace. Le gewurztraminer vient en tête avec 74% des importations, devant le riesling, 11%, le pinot blanc 2% et 13% pour les neuf autres cépages autorisés en Alsace (dont le sylvaner et le chasselas, tous deux en perte de vitesse). A ras les rayons des grandes surfaces, la diversité est limitée: la plupart des magasins se contentent d’un riesling et d’un gewurz’ de la même maison, en l’occurrence des coopératives (elles sont dix-sept qui écoulent 35% de la production alsacienne). Pas étonnant donc de trouver groupées dans une fourchette étroite les mêmes élaborateurs. Les millésimes jouent aussi un rôle : 2001 était léger, friand; 2002 marqué par la pluie et la dilution et 2003 par la canicule, engendrant des vins lourds, parfois «améliorés» par ajout non de sucre (l’Alsace tolère la chaptalisation même pour ses grands crus — lire ci-contre), mais d’acide tartrique.
Le meilleur en achat direct
Son meilleur côté, l’Alsace le présente sous forme de carte postale. Une image d’Epinal qui prend tout son sens pour les Suisses: long de 100 km, de la frontière bâloise à Strasbourg, le coteau sous-vosgien égrène ses beaux villages et ses opulentes auberges, qui sont aussi, tels Riquewihr, Eguisheim ou Ribeauvillé, ses grands terroirs. Sur place, les Suisses achètent les meilleurs vins directement chez les producteurs (950 vignerons-encaveurs qui écoulent 22% de la production). De fait, l’importation des vins alsaciens en Suisse par les grands distributeurs n’a démarré qu’à partir de la libéralisation, en 2001. Sur ces dix dernières années, l’importation se situait plus souvent autour de 300'000 litres, avec une pointe à 500'000 litres en 1997 (pour une valeur de 3 millions de francs suisses). Depuis 2001, le volume est passé à 600'000 litres par an pour 4 millions de francs. Entre une clientèle de caves privées difficile à quantifier et des exportations encore faibles, Jean-Louis Vezien, le directeur du Comité interprofessionnel des vins d’Alsace, parle d’un marché suisse où «la vision n’est pas claire». Mais les Alsaciens ont débloqué un budget de 45'000 francs suisses, en 2004, pour améliorer leur image auprès des consommateurs suisses…
Etiquettes fantaisistes
L’image des vins d’Alsace est également floue parce qu’il est difficile de savoir ce qui se cache derrière l’étiquette, qui abuse souvent de noms pompeux sans signification qualitative (type «cuvée réservée»). Naguère secs, vifs et fruités, les blancs alsaciens sont devenus puissants, charpentés, voire demi-doux. Une législation va prochainement obliger les producteurs à préciser sur l’étiquette qu’un vin est «moelleux», quand son sucre résiduel dépasse une dizaine de grammes, en rapport avec l’acidité du vin. Mais les vignerons peuvent aussi récolter leurs raisins en deux temps : une vendange classique pour les vins standard et une plus tardive pour les vins liquoreux. «2004 se prête parfaitement à cet exercice et nous avons émis des recommandations dans ce sens», assure Jean-Louis Vezien.

Eclairage
Une région à la suisse

L’Alsace ressemble un peu à la Suisse : les deux vignobles «nordiques»sont égaux en surface (15'000 ha), mais en Alsace, 90% des vins sont blancs, contre moins de 50% désormais en Suisse. Les rendements oscillent entre 55 hl/ha, pour les grands crus, et 88 hl/ha pour l’AOC, des ratios jugés souvent exagérés. Ainsi, Bernard Burtschy écrit dans le «Guide GaultMillau des vins 2005» que «le partage s’effectue entre les rendements raisonnables et la vendange manuelle, et une production pléthorique traitée comme du maïs». Sur 120 millions de litres produits en 2002, un trentième (4,3 millions) l’étaient en Grand Cru, dont les 25 premiers ont été promus il y a trente ans, suivis par 25 autres en 1990. Certains jugent ce découpage trop généreux… Le sommet de la pyramide est constitué par des «vendanges tardives», des vins riches en sucrosité naturelle, et des «sélections de grains nobles», tirant profit du «botrytis cinerea». Ces deux catégories de liquoreux, reconnues il y a vingt ans, ont tiré la réputation des vins alsaciens vers le haut de gamme, payé (très) cher par le consommateur.

Paru dans Tout Compte Fait, en octobre 2004.