Comment monter sa cave à vins?
Comment monter sa cave à vins
Qui ne rêve de disposer de bonnes bouteilles chez soi? Voici quelques tuyaux pour éviter de mauvais investissements. Et être certain d’avoir du plaisir quand il s’agira de boire les flacons soigneusement entreposés.
Par Pierre Thomas
On l’oublie souvent, mais la première condition pour parler de «cave», c’est de disposer d’un local approprié. Température (14 à 18°) et humidité (plus de 70%) constantes sont de rigueur, pour conserver du vin sans risquer son vieillissement prématuré et le dessèchement des bouchons. Si vous ne disposez pas d’un tel endroit, mieux vaut renoncer… A moins de louer un casier dans un entrepôt (il en existe dans les principales villes), «squatter» la cave d’un ami sûr ou alors, s’acheter une armoire à vins.
2003, millésime spéculatif
Le choix des vins dépend du goût personnel du consommateur. On peut certes tenter de «faire une bonne affaire». Le millésime 2003 (qui arrive sur le marché en ce moment), où les meilleurs vins sont rares (et déjà chers !), se prête à cette spéculation. Il y a fort à parier que celui qui achètera deux caisses des meilleurs bordeaux, en revendra une, un jour, au double du prix payé. La caisse qui lui restera ne lui aura donc rien coûté! L’exercice est possible grâce à l’achat en primeurs: on réserve contre paiement des bouteilles qui ne seront livrées qu’au printemps 2006. Mais pas question de goûter soi–même au nectar; il faut s’en remettre aux gourous, tel l’Américain Robert Parker.
Acheter ce que l’on aimera boire
L’hypothèse la plus courante reste que le contenu d’une cave est destiné à être bu par son propriétaire. Inutile d’y stocker des bouteilles dont on sait qu’on appréciera leur contenu dans les mois qui viennent. C’est vrai pour la plupart des vins blancs et des rosés et des vins rouges fruités. Ensuite, il s’agit de faire la balance entre ce que l’on risque de payer sur le marché pour des millésimes «buvables» (jusqu’à cinq ans d’âge) et l’immobilisation du capital. Conclusion: une cave doit contenir des flacons qu’il sera difficile, voire impossible, de se procurer au moment où ils auront atteint leur apogée gustative. Six, voire douze, bouteilles suffiront. Pourquoi un tel multiple? Si on n’encave qu’un seul flacon, on imagine la frustration du «déjà bu». Il faut donc pouvoir y goûter, tous les ans, ou tous les deux ans, et «liquider» le stock, au besoin, si le vin paraît aller sur son déclin.
Votre goût risque de changer
Monter une cave est un exercice d’équilibriste, guetté par le vertige d’accumuler pour demain des vins qu’il croit aimer aujourd’hui. Au point qu’on propose parfois de stocker des vins peu appréciés. C’est vrai pour l’amateur de bourgognes qui n’aimerait pas les tanins des bordeaux jeunes. S’il n’accumule pas ces derniers dans sa cave, il risque de ne jamais pouvoir apprécier de bordeaux «mûrs»…
Disposer d’une cave exige d’avoir un minimum de discipline pour faire rouler le stock. On prend moins de risque avec des vins solides, qui ont de la réserve, tels les crus européens. Et ceux du Nouveau Monde? A l’exception de références californiennes et de quelques australiennes, le recul fait encore défaut. Il manque à ces vins la constance dans l’élaboration.
On sait aussi que depuis le milieu des années 1970, les vins français se sont assouplis. Les tanins nécessitant le vieillissement ont été compensés par une extraction des polyphénols qui «enveloppent» les tanins. Des vins «modernes» sont bâtis sur deux axes: leur richesse permet d’apprécier leur puissance aromatique quand ils sont jeunes, sans pour autant entamer leur capacité de vieillir en s’améliorant.
Des qualités qui évoluent
Mais il faut se souvenir qu’un vin vieux n’aura jamais les mêmes arômes qu’un vin jeune. Surtout, le temps ne rattrape ni la sècheresse, ni le manque de fruit. Pour les vins blancs, la question est plus délicate: les arômes tertiaires transforment radicalement leur goût. Celui qui apprécie la fraîcheur d’un vin blanc ne retrouvera pas ses qualités premières.
Placé face au choix (cornélien) de ne citer que douze vins par catégorie, je me suis limité à ne conseiller que des vins rouges, français, italiens, espagnols et suisses, avec, en prime, trois liquoreux valaisans qu’il vaut la peine de déguster à petites doses. Et je le redis: une cave d’amateur reste un choix personnel, aussi intime qu’une collection d’estampes japonaises.
Ma cave en 12 vins, de 5000 à 33'000 francs
A La cave du débutant
(investissement pour 144 bouteilles : 5280 fr. soit 36 fr./bout.)
1) Le Tourmentin, Rouvinez, Sierre, 5 – 10 ans, 25 fr. (prod.) Historiquement, l’un des premiers des assemblages rouges valaisans, il y a vingt ans.
2) Syrah, Gérald Besse, Martigny (VS – CH), 2 – 10 ans, 28 fr. (prod.) Un des jeunes producteurs valaisans qui montent ; vignes encore jeunes.
3) Merlot, Sassi Grossi, Gialdi, Mendrisio (TI – CH), 5 – 15 ans, 40 fr. (prod.) Merlot tessinois de la nouvelle génération, au boisé généreux.
4) Grains de Malice, assemblage liquoreux, Provins Valais (CH), 10 – 15 ans, 50 fr. (prod.) Marsanne et pinot gris assemblés par Madeleine Gay (également en demi-bouteilles).
5) Cahors, Château Lagrezette, A.-D. Perrin (F), 2 – 15 ans, 19 fr. (2000/Sté agriculture de Chénens (FR) Un vin du Sud-Ouest résolument moderne, signé de l’ancien PDG de Cartier.
6) Châteauneuf-du-Pape, La Nerthe (F), 2 – 10 ans, 35 fr. (2000/Coop) Une réussite constante d’un des grands domaines de l’appellation.
7) Chianti Rufina, Frescobaldi Reserva Nippozano (I), 2 – 10 ans, 20 fr. (2000/Moevenpick) En-dehors du cœur du Chianti Classico, une réussite régulière et traditionnelle.
8) Barbaresco Rabaja, Bruno Rocca (I), 2 – 15 ans, 68 fr. (2000/CAVE SA) Presqu’aussi cher qu’un grand barolo : le prix à payer pour une vedette.
9) Clos Martinet, Priorat (E), 5 – 20 ans, 55 fr. (2001/DIVO). Le moins cher parmi les refondateurs du Priorat, pépinière de talents catalans.
10) Condado de Haza Reserva, A. Fernandez, Ribera del Duero (E), 2 – 10 ans, 25 fr. (2001/Moevenpick) Encore un rénovateur d’une des régions les plus en vue d’Espagne.
11) Château Charmail, Haut-Médoc, Bordeaux (F), 2 – 10 ans, 20 fr. (2002/Magnin, Riex) Parmi les crus bourgeois, une réussite depuis quelques années : vin souple et expressif.
12) Savigny-les-Beaune, La Dominode, J.-M. Pavelot, Bourgogne (F), 4 – 15 ans, 30 fr. (2000, DIVO) Une valeur sûre, d’un bon rapport qualité-prix, dans une région devenue (trop) chère.
La cave futée de l’initié
(investissement pour 144 bouteilles : 6888 fr. soit 48 fr./bout.)
1) Cornalin, Denis Mercier, Sierre (CH), 5 – 10 ans, 35 fr. (prod.) Une des meilleures expressions de ce cépage propre au Valais.
2) Syrah Vieilles Vignes, Simon Maye, St-Pierre-de-Clages (VS – CH), 3 – 20 ans, 35 fr. (prod.) Un des pionniers de la syrah en Valais, toujours au sommet.
3) Merlot Orizzonte, Christian Zündel, Beride (TI – CH), 2 – 10 ans, 37 fr. (prod.) Plusieurs fois désigné «meilleur vin suisse» par des pannels de dégustateurs.
4) Amigne surmaturée, Cave Les Tilleuls, Fabienne Cottagnoud, Vétroz (VS – CH), 5 – 25 ans, 40 fr. (prod.) Un coup de cœur pour une production confidentielle d’un rare cépage.
5) Châteauneuf-du-Pape, Clos des Papes, Paul Avril (F), 2 – 20 ans, 45 fr. (2001/Couleur du vin, Fribourg) Un grand classique de l’appellation, régulier et sûr.
6) Barolo Fossati, E. Boglietti, La Morra (I), 5 – 15 ans, 62 fr. (1998/Münsterkeller, Berne) Très bel élevage en barriques pour ce jeune producteur piémontais.
7) Chianti Classico Giorgio Primo, La Massa (I), 2 – 15 ans, 65 fr. (2000/CAVE SA) La vague de la barrique, illustrée cette fois en Toscane.
8) Clos Mogador, René Barbier, Priorat (E), 5 – 20 ans, 80 fr. (2001/La Treille, Penthaz) Un des rénovateurs de cette région catalane.
9) Alion, Ribera del Duero (E), 5 – 15 ans, 55 fr. (1999/Moevenpick) La version moderne voulue par le grand domaine traditionnel de Vega Sicilia.
10) Gevrey–Chambertin, Denis Mortet, Bourgogne (F), 2 – 20 ans, 60 fr. (2001/CAVE SA) Un relativement nouveau venu qui a modernisé l’appellation bourguignonne.
11) Château Sociando-Mallet, Haut-Médoc, Bordeaux (F), 5 – 25 ans, 30 fr. (2002/Gazzar) Ni cru classé, ni cru bourgeois, mais valeur sûre et constante du Haut-Médoc.
12) Château Haut-Marbuzet, Saint-Estèphe, Bordeaux (F), 5 – 15 ans, 30 fr. (2002/Gazzar) Un bordeaux bien fait, moderne, qui se laisse approcher avant d’autres, mais vieillit fort bien.
La cave du snob qui ne compte pas
(investissement : 33'732 fr., soit 235 fr./bout.)
1) Pinot noir, Daniel Gantenbein (GR – CH), 2 – 10 ans, 40 fr. (prod.) La Revue du vin de France n’a retenu que ce Suisse dans son dernier tour du monde des vins : flacons qu’on s’arrache.
2) Merlot Castello San Luigi, Zanini, Ligornetto (TI – CH), 5 – 15 ans, 100 fr. (2001/La Treille, Penthaz ou prod.) Le premier merlot tessinois qui ose s’afficher à cent francs.
3) Marsanne Grain Noble, M.–Th. Chappaz, Fully (VS – CH), 5 – 25 ans, 45 fr. (prod.) Inutile de chercher à en obtenir douze demi-bouteilles : à Hambourg, des dégustateurs ont attribué 20 sur 20 à la version 2001.
4) Sori San Lorenzo, Langhe (Piémont), Gaja (I), 5 – 15 ans, 300 fr. (1999/CAVE SA) Il y a dix ans, Angelo Gaja me disait : la réussite d’un vin, c’est 90% de marketing.
5) Amarone della Valpolicella, Monte Lodoletta, R. Dal Forno (I), 5 – 20 ans, 250 fr. (1997/Zanini, Ligornetto) L’amarone, grand rouge passerillé et capiteux, frise le mythe.
6) La Mouline, Côte-Rôtie, Guigal, Ampuis (F), 5 – 30 ans, 350 fr. (1998/Magnin, Riex) L’incarnation du renouveau d’une région mise à l’index des prix…
7) Châteauneuf-du-Pape, Beaucastel (F), 5 – 25 ans, 70 fr. (2002/DIVO) La plus onéreuse parmi les cuvées de base castelpapale, mais d’une rare qualité.
8) Saint-Emilion, Château La Mondotte (F), 5 – 25 ans, 160 fr. (2002/Magnin, Riex) Un vin de garage lancé par le comte de Neipperg (Canon-la-Gaffelière), pour qui ne veut ou ne peut s’offrir Cheval-Blanc ou Ausone.
9) Pauillac, Château Lafite–Rothschild (F), 10 – 30 ans, 140 fr. (2002/La Charrière, La Chaux-de-Fonds) Un des premiers crus, souvent austère, mais d’une rectitude imparable.
10) L’Ermita, Alvaro Palacios, Priorat (E), 5 – 25 ans, 531 fr. (2000/Nectavins, Ecublens/VD) Si certains crus du Priorat ont su rester sage, celui de Palacios s’est envolé.
11) Pingus, P. Sisseck, Ribera del Duero (E), 5 – 25 ans, 475 fr. (2001/Magnin, Riex) Un jeune Danois adepte des vins biologiques a créé une légende sur 3,5 hectares…
12) Richebourg, Meo-Camuzet, Bourgogne (F), 5 – 30 ans, 450 fr. (2000/Nectavins, Ecublens/VD) La quintessence de la Bourgogne pour ceux qui dédaignent le monopole hors norme de La Romanée-Conti.
Références
La Revue du vin de France, mai 2004, et son Classement des meilleurs vins de France par Bettane & Desseauve (édition 2004) ; 365 vinos al ano, Jesus Flores (édition 2004) ; Le guide de l’Espresso Vini d’Italia 2004 ; magazine Vinum, juin 2004 (spécial primeurs) ; Weinwisser, mars 2004 : 66 Spitzenweine aus der Schweiz. Pour les prix et les commerces, la «bible» Vinfox 2004.
Dossier paru dans Tout Compte Fait en juin 2004.