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Posted on 6 janvier 2005 in Vins suisses

Vaud— Vive les vieux vins blancs!

Vaud— Vive les vieux vins blancs!

Vins suisses — Dégustation de flacons exhumés
Vive les vieux vins blancs suisses!
Les «panthères grises» vont-elles débouler sur les tables et fagocyter les verres? En dégustation, des chasselas de La Côte et des spécialités blanches valaisannes de vingt ans d'âge et plus. Y a-t-il une raison gustative qui nous ferait préférer les vins blancs jeunes aux vins blancs vieux? Voilà à quoi renvoient deux dégustations organisées récemment, l'une à Lausanne, l'autre à Sierre.
Par Pierre Thomas
Ces manifestations ont rappelé deux choses. La première, c'est que ni les dégustateurs patentés, ni les consommateurs traditionnels n'ont l'habitude de tremper leurs lèvres dans de «vieux vins», sous-entendu des blancs de plus de cinq ans. La seconde, c'est une évidence économique. Jusqu'à aujourd'hui — et même officiellement jusqu'au 1er janvier 2001 — le vin blanc coulait en circuit fermé. La Suisse, par protectionnisme douanier, s'interdisait de consommer des vins autres qu'indigènes. Et, majoritaire, le chasselas avait, et, jusqu'à plus ample informée, a toujours, l'image d'un vin frais et gouleyant à boire dans les meilleurs délais.

De l'apéro à la cinémathèque
Ce cliché arrange tout le monde: le vigneron et le négociant qui vendent leur récolte de l'année sans devoir stocker fûts et bouteilles. Et le consommateur, qui finit par ne pas se poser trop de questions: blanc vite bu, vite oublié…
L'approche du vin change aujourd'hui. Les dégustateurs sont amenés à considérer toute bouteille comme une œuvre d'art. A cette aune, l'œnothèque fonctionne déjà comme la cinémathèque: pas plus que le cinéphile a honte de se plonger dans le cinéma muet — il y prend même son pied! —, l'œnophile peut trouver du plaisir dans un vin blanc des années 70. Pour ne pas parler des liquoreux, notamment les sauternes ou les vins jaunes du Jura, réputés immortels, qui s'arrachent à prix d'or aux ventes aux enchères.
C'est dans cette perspective que se placent les deux dégustations évoquées. La première, au Cellier du Saint-François, à Lausanne, mobilisait le négociant genevois Claude Berthaudin, propriétaire des 5 ha du Clos du Roussillon à Tartegnin, dont s'occupe depuis 1963 Hans Ruedi Gränicher, président des vignerons vaudois, et son fils Vincent, 24 ans, tandis que le «tonnelier» Guignard, à Rolle, se charge des opérations œnologiques.

Trois paliers du vin
En remontant à 1975, on reconnaît une filiation au chasselas: son floral frais s'exprime dans sa jeunesse. Dans les années riches — comme 1997 —, les prémices d'arômes grillés, de confit apparaissent, et se renforcent avec l'âge, tirant le vin blanc vers le miel. Sur 25 millésimes, on a cru déceler des paliers: arômes frais et primaires sur deux ans seulement, secondaires sur cinq ans ensuite, puis, plus avant que 92, un nez «tertiaire», qui se confirme avec l'apparition du miel, de la cire et du pain grillé. Avec l'âge, ces vins perdent l'«harmonie» que disent rechercher leurs géniteurs.
L'autre leçon est celle du millésime, liée à la production, libre jusque dans les années 90: ainsi, le Clos du Roussillon a-t-il donné entre 29'000 et 115'000 litres de moût, deux extrêmes mesurés à deux ans d'intervalle, en 1980 et 82… 98, millésime le plus précoce de ces 25 dernières années, n'a produit que 30'000 litres de moût, alors que toutes les années depuis 1990 tournent autour de 50'000 litres… Il faudra attendre dix ans pour savoir si cette maîtrise de la production a une incidence sur le vieillissement du chasselas.

Mémoire vivante
La question de la qualité intrinsèque du produit se posait également au Château Mercier, à Sierre, où, devant un aréopage de journalistes, la «marque Orsat», qui fête ses 125 ans cette année, remontait à 1941, à raison de neuf vins pour quatre «spécialités valaisannes», à l'exclusion du fendant.
Repreneur d'Orsat et désormais propriétaire de 70 ha de vignes de Fully à Loèche, Jean-Bernard Rouvinez a souligné, en préambule, la jeunesse de la démarche en regard du patrimoine. Orsat a tout de même «sauvé» 32'000 bouteilles, témoins de l'histoire viti-vinicole valaisanne depuis 1930…
En Valais, en sus de la production, le climat semble jouer un rôle capital. Un ermitage 1955, au nez de miel, à la longueur époustouflante, ou un johannisberg 1952, aux caractères de vieux vin surmaturé, bien balancé entre le gras et l'amertume typique du cépage, une amigne 1955 exhalant l'abricot confit, restent de grands moments de «mémoire vivante». Car les vins, en bouteille, continuent de vivre, avec leurs hauts et leurs bas. A la différence des œuvres d'art, telles qu'en elles-mêmes, où seul le regard posé diffère d'une époque à l'autre.

Paru dans 24 heures, Lausanne, en 2001