Pages Menu
Categories Menu

Posted on 6 janvier 2005 in Vins espagnols

Le sherry de ces dames revient!

Le sherry de ces dames revient!

Vins de Xérès
Le sherry de ses dames, un revenant
Qui boit encore du xérès, alias le sherry en anglais? Plus grand’monde, à part les Nordiques. Mais les nouvelles tendances de la gastronomie, des populaires «tapas» aux extravagances inspirées par Ferran Adrià, le chef-artiste d’«elBulli», en passant par la cuisine japonaise, redonnent ses lettres de noblesse à ce grand d’Espagne.

Mettez le nez sur un verre de xérès. Les arômes de noix vous inclinent à penser que vous allez déguster un vin doux, genre porto. Goûtez-y. C’est sec comme une trique. Et il y a de l’alcool : plus de 15°, dans la populaire manzanilla, née sur les bords de mer, dans l’estuaire du Guadalquivir, le fleuve qui arrose Séville. A l’apéritif, le xérès reste à l’Espagne ce que le pastis est à la France. Pas étonnant, Jerez de la Frontera, comme Marseille sont des colonies phéniciennes. Ces ancêtres des Grecs plantèrent de la vigne sur tout le pourtour de la Méditerranée, et même un peu plus loin, puisque l’Andalousie se prolonge au-delà de Gibraltar… Le xérès a donc un lourd passé. Mais quel avenir ? La question, on se la pose depuis vingt ans dans les «bodegas», vastes caves de la ville espagnole, ces cathédrales aux murs blanchis à la chaux. Et certains producteurs s’orientent vers du vin blanc léger, voire du rouge, tous deux assez médiocres, il faut le dire, plutôt que de camper sur la tradition.
Des vins qui naviguent
De tout temps, l’avenir du xérès a dépendu de l’extérieur, comme celui du porto ou du bordeaux: les Anglais, les Hollandais et les Allemands embarquaient de pleins navires de vins au sud, bus dans les tavernes du nord. Au point que le sherry, mot anglais tiré de Seris, nom arabe de Jerez, accompagnait volontiers les biscuits des «ladies» de la bonne société londonienne, quand elles en avaient ras la tasse de leur thé de Ceylan… Ainsi est née la Bristol Cream, version suave du sec xérès, embouteillée sur place dans des flacons bleus, la couleur fétiche du port anglais.
Ratissant large, dans des types multiples (lire l’encadré), ce vin se porta fort bien jusque dans les années 1980. Mais, à l’instar du porto, autre vin muté, donc «fortifié» par l’ajout d’alcool pour lui assurer la stabilité chimique, le xérès a sombré devant des boissons plus modernes, comme la bière, plus légère, ou les alcools de grains, vodka, gin ou whiskies, plus forts. Au même moment, les amateurs de vin recherchaient du fruit et une certaine rondeur dans les vins, de surcroît rouges. Loin d’un liquide brun au nez oxydé…

 Un subtil élevage
Devant un xérès, les œnologues modernes font la grimace. Et n’est pas facile de séparer la réalité de la légende, dans l’élaboration de ces vins complexes. Ainsi, le xérès le plus courant doit tout aux levures indigènes développées dans le moût, qui déclenchent la transformation du sucre en alcool. Ces levures restent en suspension dans les tonneaux de chêne et forment un voile, la «flor». L’oxydation lente et ménagée du liquide se fait par le chêne des tonneaux. En Andalousie, les caves ne sont pas enterrées, mais, au contraire, très hautes, pour que des pyramides de barriques, posées à même le sol de terre battue, bénéficient de la circulation de l’air. Ces conditions sont favorables au vieillissement des vins, selon le système de la «solera» : on soutire d’un fût une petite quantité de vin, compensée par un ajout d’un tonneau du rang voisin, appelé «criadera». Les vins ne sont donc pas millésimés, mais résultent de l’assemblage harmonieux de plusieurs années. Et c’est moins la qualité de la matière première que le suivi minutieux de cet élevage qui fait les meilleurs flacons.
Ces dernières années, les xérès ont évolué. Les caves ont sorti de leurs entrailles des «vins de sacristie», des trésors tirés des réserves familiales. Deux labels les estampillent : l’un qui atteste, au besoin au moyen d’une expertise au carbone 14 (la technique qui a permis de dater le Saint-Suaire), qu’ils ont plus de trente ans de fûts (VORS pour «very old rare signatum») ou vingt ans (VOR pour «very old signature»). Pour suppléer au cépage «palo cortado», qui engendre des vins secs, les producteurs s’orientent vers le muscat («moscatel») et, mieux encore, vers le «pedro ximénès», abrégé en PX, très tendance, un cépage rouge qui donne des vins de belle couleur bronze, plus doux, parce que ses raisins ont séchés au soleil. «Le seul vin qui va avec tout»
De l’apéritif au cigare, tout moment est favorable à l’un ou l’autre des vins andalous. Mais percer leur mystère demeure affaire de connaisseur. Bernard Nouel, un consultant bordelais établi à Jérèz, leur voit un avenir : «Quand on passe des fruits de mer au jambon espagnol, à travers la déclinaison des tapas, le Fino est le seul vin qui va avec tout.» De même, allez marier un grand rouge aux plats extravagants et déstructurés de Ferran Adrià, le grand chef catalan : bonjour les dégâts ! Le xérès fait l’affaire, et même les grands Olorosos, des merveilles. Idem sur les plats japonais, simples comme des sushis, ou plus compliqués et plus forts en goût, rehaussés par la sauce soja. C’est, du reste, un jésuite espagnol qui aurait amené au Japon la technique culinaire de la «tempura», cette fine friture. Le juste retour des choses, espèrent les Andalous, voudraient que, par reconnaissance, on apprécie le meilleur de leurs nectars. Du levant au couchant.

Eclairage

Les types de xérès
Les vins produits en Andalousie, se divisent en deux grands types : les Finos, secs, qui ont développé la «flor», et les Olorosos, choisis pour un long élevage en fûts. Les premiers sont plus juvéniles, plus secs que les seconds, et se conservent peu de temps, tandis que les Olorosos peuvent vieillir sans limite… Quelques références en Suisse :
Fino
Vin pâle, sec, à base du cépage blanc «palo cortado». Sa fraîcheur est garantie par la «flor». Le plus connu et le plus répandu est le Tio Pepe (Gonzalez Byass), Vilaclara, Genève (tél. 022 342 27 28), 21 fr.. Manzanilla
Vin pâle et sec, un peu plus léger en alcool que le Fino de Jerez (15°5 au lieu de 17°), mais issu du même cépage et du même procédé, produit à Sanlucar de Barrameda. La Gitana, www.gomes-weine.ch, 18 fr. Amontillado
Un Fino qui a vieilli en fûts, et dont la «flor» a disparu, de type oxydatif (robe ambrée et arômes de noix), mais toujours sec. Tio Dego, Valdespino, www.cavesa.ch 22 fr. Medium
Un Amontillado adouci par l’ajout de mistelle (moût muté à l’alcool) de Pedro Ximénez (dont les raisins sont séchés au soleil et qui donne aussi le Malaga), de type doux, favori des Anglais. Sherry Medium Dry, Pedro Domecq, Coop, 14 fr. 50. Palo Cortado
Une sorte de mutant, situé entre le Fino et l’Oloroso: au départ, un Fino, devenu Amontillado, mais vieilli comme un Oloroso. Pour les «aficionados», non pas compromis, mais quintessence des deux styles. Palo Cortado del Carrascal, Valdespino, www.cavesa.ch, 23 fr..
Almanecista
Vin confidentiel, d’une production limitée, qui porte l’empreinte de la «bodega» qui l’a élaboré. Les plus fameux de chez Lustau, www.divo.ch, dès 24 fr.
Pedro Ximenes (PX)
Les vins issus de ce seul cépage proviennent de la région de Montilla-Moriles, à l’est de Jerez et au sud de Cordoue. La version la plus simple est une mistelle (moût muté à l’alcool). Mais certains «vins de sacristie», longuement vieillis, sont également du PX. Exemples: Alvear Solera ou Anada, 20 fr. (50cl), Fischer, Sursee (tél. 041 925 11 80); Jerez PX Sacristia, Sanchez-Romate, 70 fr. (50 cl), WyZumTurm, Saint-Gall (tél. 071 228 55 99).
Oloroso
Ce vin n’a pas connu la «flor». Il est muté à 18° d’alcool et son vieillissement dans des fûts, par le jeu de l’évaporation, le concentre jusqu’à 24°. Les meilleurs Olorosos restent secs, gras et riches, presque huileux (même si le terme veut dire «parfumé»). Ils vieillissent admirablement: Bailen, d’Osborne, millésime 1808 à 1122 fr. la bouteille ( !) ou un Solera 1847 à 370 fr., chez www.badaracco.ch.
Paru dans Edelweiss, Lausanne, en septembre 2004