Loire — Quel avenir pour le chenin blanc?
La vallée de la Loire cultive 70’000 hectares de vignes qui produisent 60% de blanc, du Sancerre au Muscadet, aux portes de Nantes. Mais, à côté du sauvignon et du melon de Bourgogne, le cépage blanc le plus polyvalent reste le chenin blanc. Quel est son avenir ? Réponse sur place.
Par Pierre Thomas
Le chenin donne des vins secs, en Anjou-Saumur ; des mousseux «méthode traditionnelle» et des vins tendres à Vouvray ou Montlouis. Mais aussi des demi-secs inclassables. Et des liquoreux, en passerillage sur souche ou, les années favorables, en misant sur le «botrytis».
Au départ, ce raisin bon à tout faire est venu du Sud, du Piémont basque espagnol, selon Christian Asselin, œnologue et grand connaisseur des terroirs ligériens. Passées les Pyrénées, ce blanc non aromatique, à grande acidité, donc au potentiel de vieillissement certain, monte en Vendée, à Brem sur Mer. Puis toute la Loire s’offre à lui. Les moines le désignent autour du 10ème siècle sous le nom de plant d’Anjou, puis plant de Brèze, en Saumur, et pineau de Loire en Touraine. L’écrivain Rabelais, né dans la Loire, met tout le monde d’accord en évoquant le «chenin» dans Gargantua (1534).
L’Afrique du Sud au secours de la Loire
Chassés de France, poussés vers la Hollande, les huguenots en embarquèrent pour le planter en Afrique du Sud. Aujourd’hui, il y en a deux fois plus là-bas que dans la Loire. Vin lourd, alcooleux, ce chenin, connu sous le nom de «steen» ajoute une autre «vertu», celle de pouvoir être distillé… Mais il revient en force, en version sèche, au point que selon Nicolas Weinmann, responsable export des Caves de la Loire, «c’est le Nouveau Monde qui a relancé le chenin.» Utile coup de pouce, qui rend service en passant à la Nouvelle-Zélande, au Mexique, mais aussi à des contrées plus exotiques encore, comme l’Inde et la Thaïlande.
Pour l’œnologue Alain Guichet, une des chevilles ouvrières du «Rendez-vous du chenin» de juillet 2004, en attendant celui de l’an prochain, le chenin donne «des vins de précision», qui représentent «la culture de la différence» selon leur origine. Seul moyen d’y voir clair : déguster les vins pour juger de ce qui les rapproche.
Une dégustation originale
Plutôt que de lancer un énième concours, les Ligériens préfèrent approcher les chenins par une dégustation en deux temps. En toute liberté, une cinquantaine de dégustateurs, dont deux tiers de Français et quelques trop rares femmes (lire l’encadré), ont d’abord rapproché, sans les analyser, des chenins, puis, dans un second temps, les ont décrit par une grille de dégustation. Le vocabulaire tente d’«élaborer des critères objectifs de style» et dégage «les grandes expressions» du chenin, répartis en neuf catégories, de l’effervescent au liquoreux.
La méthode, originale, pourrait inspirer les Suisses, qui ont tant de peine à analyser le chasselas et le pinot noir, comme l’ont montré les derniers résultats du Mondial du Pinot noir de Sierre, où l’hétérogénéité des résultats n’offre aucune interprétation cohérente. Les Italiens, a-t-on appris à Angers, lors de la synthèse de ce «Rendez-vous», sont intéressés à soumettre le sangiovese toscan, à la question…
La typicité, c’est quoi ?
Le chenin n’échappe pas aux grands débats sur la «typicité». Claude Asselin ose affirmer qu’elle n’est qu’un «foutoir», actuellement, même si la Loire, qui a cartographié ses terroirs «a une longueur d’avance». Dans le terrain, les vignerons ne mâchent pas leurs mots. Ainsi Romain Guiberteau, 32 ans, de Saumur : «Le chenin est le grand cépage de la Loire, mais tant qu’il ne sera pas ramené à 5000 bouteilles à l’hectare, on ne pourra pas faire des vins racés».
Seuls les petits rendements permettent au chenin blanc de supporter un élevage en bois qui, allié à sa grande acidité, le dote d’un potentiel de garde formidable. Les meilleurs élaborateurs de moelleux l’ont déjà compris. La dégustation de la gamme du Domaine Huet, à Vouvray, tient à ce titre de parcours initiatique. Après des 2002 d’anthologie, dont un demi-sec «Le Mont», complexe et minéral, qualifié, par le régisseur de ce domaine de 35 ha, Noël Pinguet, d’«archétype du Vouvray», les 2003 et les 2004 naviguent aux antipodes. En 2003, des vins puissants, riches, moelleux (et non demi-secs !), où le passerillage sur souche a concentré les arômes, comme dans les «premiers tris», vendangés fin septembre ; ensuite des 2004 où il a fallu «éliminer la moitié de la récolte» qui récompensent les vignerons méritants par «la pureté et l’élégance». C’est une constante de la Loire : dans la limite septentrionale de la culture de la vigne, le climat accentue l’«effet millésime».
Eclairage
Mais où sont les femmes ?
Elles n’étaient guère au «Rendez-vous du chenin», les femmes : 8 pour 44 dégustateurs. Et pourtant, s’il y a des vins qui peuvent leur plaire, ce sont bien ces blancs d’une grande finesse d’expression supportée par un peu de sucre que les œnologues détestent par principe…
Chez les Champalou, à Vouvray, les femmes sont partout. Catherine, d’abord, d’une lignée de viticulteurs, et ses deux filles qui se destinent aux métiers de la vigne, l’une par un diplôme viti-œno, qui l’a conduite en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud et en Languedoc, en attendant la Californie, et sa sœur, technico-commerciale, qui va commencer un stage chez un caviste londonien. Et le jour de notre visite, Didier Champalou était occupé à piloter le travail de diplôme d’une stagiaire, sur ce domaine de 20 ha, planté à 100% en chenin. Toute la gamme des vouvrays y est d’une rare élégance, tant en 2002 qu’en 2003. Elle culmine avec la «Cuvée CC», pour Catherine Champalou bien sûr : un nectar de raisins passerillés, au nez de rôti et aux arômes d’abricot en 2003 (180 g. de sucre pour 10,5° d’alcool). Le sixième millésime en vingt ans de cette cuvée réservée aux meilleures années (avant elle, 1989, 90, 95, 96, 97).
Article paru le 10 février 2005 dans Hotel+Tourismus Revue, Berne.