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Posted on 6 janvier 2005 in Vins du Nouveau Monde

Etats-Unis — De La Côte à la West Coast

Etats-Unis — De La Côte à la West Coast

Jean-François Pellet, vigneron dans l'Etat de Washington
De La Côte à la Côte Ouest
Il a l'esprit des pionniers, Jean-François Pellet: parti à Napa Valley (Californie), s'il n'avait atterri un peu par hasard plus au nord dans l'Etat de Washington, il serait parti en Afrique du Sud. Rencontre à… Mont-sur-Rolle.
Par Pierre Thomas
Curieux contraste. Dans le carnotzet du Château de Châtagnéréaz, prestigieux domaine de Schenk, où son père, Pierre, officie comme chef de culture, se pressent dans la pénombre mais à l'ombre de la canicule, des dégustateurs bien vaudois. Ils ne savent pas encore ce qu'ils vont déguster, avant de se rincer les papilles avec quelques millésimes de chasselas de derrière les fagots…
La vedette américaine du jour, c'est Jean-François, le fils prodigue, âgé de 37 ans. La Suisse était trop petite pour lui. Après Changins, il avait déjà bousculé les habitudes viticoles en incitant quelques vignerons du cru à avoir recours au surgreffage, une méthode où excellent les habiles mains des Mexicains. Mexicains qu'il a retrouvés à Napa, dans un domaine mythique, Heitz Cellars, à Santa-Helena. Puis à Walla Walla, à 400 km à l'intérieur des terres de l'Etat de Washington, au nord de l'Oregon. Capitale, Seattle.
Jean-François Pellet raconte, en cherchant un peu ses mots, tant l'anglais lui est familier: «Quand je suis arrivé, il y a quatre ans, il n'y avait que vingt-deux caves dans cet Etat. Aujourd'hui, il y en a quarante-huit!»
Le vin? Un prix d'abord!
Le domaine dont il assure la vinification a été bâti par un ancien et riche entrepreneur, Norm McKibben, 67 ans aujourd'hui. En douze ans, il a planté 140 hectares de vignes, sur deux domaines, Pepper Bridge et Seven Hills. Le Vaudois, lorsqu'il arrive en 1999, est au pied du mur: «J'ai pu construire la cave». Il devient associé du domaine, avec sa femme américaine, Kathryn, dont il a deux enfants, Maxime, 5 ans, et Sophie, 2 ans. Une manière habile pour que le couple s'implique à fond dans la destinée du domaine… Les projets n'arrêtent pas: il y a un domaine voisin, Les Collines, qui démarre et, dès septembre, une nouvelle cave, Amavi, qui devrait créer des assemblages à la bordelaise et des syrah «à des prix raisonnables».
Car, devant ce parterre de dégustateurs médusés, Jean-François Pellet, volubile, explique comment on «pense» le vin à l'américaine. «On fixe ses objectifs. Nous, c'est de faire à Pepper Bridge des vins « ultra-premiums », très haut de gamme, vendus 45 et 50 dollars. On pratique d'emblée un prix agressif et on sait que la qualité suivra. Les clients ne sont pas fous: ils en veulent pour 50 dollars…»
En attendant le gel
Planté large, à une densité faible, le domaine ne produit que 45'000 bouteilles. En 1998, il a débuté avec 800 caisses. Redevenu vigneron, le «winemaker» explique: «La vigne est mon métier principal. J'achète au début de l'année un lot de vignes et je décide ensuite ce que je veux y faire, de la taille à la récolte». Les ceps sont sous contrôle: irrigation obligatoire et pilotée par ordinateur. Sinon, sur ces loess, ces sables et ces laves glaciaires, rien ne pousse… «Même en Valais, ce ne serait pas pareil», explique Jean-François Pellet. «Pour moi, ces conditions de sol, ce terroir, c'est capital… Nous sommes sur le 46ème parallèle, à la limite des conditions pour cultiver de la vigne. Le temps de maturation est plus lent qu'à Napa Valley. On craint par-dessus tout le gel d'hiver, quand la température tombe à moins 30°. Je n'en ai point vécu, mais il paraît qu'il s'en produit un tous les 7 à 8 ans…».
A boire, et vite!
Dans le verre, les vins sont assez étonnants: tiré de la barrique, le merlot 2001 paraît fumé, un peu terreux, toasté — les vins séjournent dans le bois neuf d'origine française près de deux ans… Mais il exhale aussi des arômes de caramel, de confiserie, de café moka. Le cabernet sauvignon paraît un peu plus végétal, plus épicé aussi. Là encore, l'élevage domine le vin, mais dans le 2000 les tanins sont soyeux, avec de la richesse et du gras. «Nos vins titrent autour de 14° d'alcool. Ca n'est pas la chaleur qui manque, mais l'eau…»
Jeunes, ces vins sont quasiment à boire. Il n'y a de toute manière aucun recul par rapport au vieillissement, avec des vignes qui n'ont que huit ans et le millésime le plus ancien, cinq… «Le vin doit être buvable dès qu'il est sur le marché. Aux Etats-Unis, c'est comme ça, tout doit aller très vite!» Jean-François Pellet et sa famille ont tout de même pris le temps de passer leurs vacances sur La Côte lémanique avant d'y retourner, là-bas, dans leur nouveau monde.

Texte paru dans l'hebdomadaire Terre & Nature, Lausanne, en été 2003.