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Posted on 13 avril 2006 in Tendance

Vins suisses — La face cachée du marketing vinicole

Vins suisses — La face cachée du marketing vinicole

Vins suisses — Vins vaudois
La face cachée du marketing
Nouvelle bouteille pour l’élite des vins de Chardonne. Nouvelles étiquettes par le «designer» vedette Oscar Ribes à Lutry. Mise à plat d’Arte Vitis, «les domaines vaudois novateurs». En ce printemps 2006, le marketing est devenu le maître mot des vins vaudois.
Pierre Thomas
Celui qui ne s’en plaint pas, c’est Robert Crüll, le directeur de l’Office des vins vaudois (OVV) depuis bientôt huit ans et, à ce titre, plus ancien promoteur des vins suisses en exercice. A sa nomination, cet ex-collaborateur d’un groupe américain craignait qu’on l’accuse de vendre du vin comme des paquets de lessive. Aujourd’hui, il est débordé par les initiatives locales. Et il se réjouit d’«une forme d’émancipation avec le souci du bien commun des vins vaudois». Que les associations en tout genre se cassent les dents sur les méthodes de vente relativise aussi les critiques que peut essuyer l’OVV, jadis oreiller de paresse pour les vignerons qui attendaient le passage du client…
Diversité plutôt qu’unanimité
Mais l’amateur de vin a tendance, quand il entend le mot marketing, à sortir, sinon son revolver, du moins son tire-bouchon. Pour vérifier que sous le vernis et le liège subsiste le bon produit. Le vin, matière vivante, ne se résume pas à un ou deux slogans. Et quand on demande à Raymond Paccot, fer de lance des vins de La Côte, de caractériser le 2005, il parle d’un «grand millésime structuré, avec beaucoup de fraîcheur et d’acidité». Inquiet, il ajoute : «Est-ce que ce sera compris ? Le 2005 sera moins facile que d’autres grands millésimes et réservé aux amateurs éclairés». Le marketing, lui, préfère les millésimes «commerciaux», faciles à vendre et à boire…
Les copains d'abord
De fait, en dégustation réservée aux sommeliers et à la restauration au Montreux-Palace, début mars, rares étaient les vignerons d’Arte Vitis à proposer le «nouveau», en blanc et, à fortiori, aucun en rouge. Cet aréopage regroupe douze vignerons parmi les meilleurs du Pays de Vaud. «Nous sommes une équipe de copains qui cultivons la même philosophie. On partage le même esprit d’ouverture et la façon de réfléchir. On se voit ensemble une dizaine de fois par an et on s’enrichit mutuellement», résume Raymond Paccot. Tous ne sont pas d’accord sur la diversification des cépages et le chasselas garde, chez eux aussi, une part prépondérante. Certains s’essaient aux techniques culturales comme la biodynamie, qui ne fait pas l’unanimité. OGM dans les levures ou techniques d’enrichissement du moût les interpellent.
C’est autant ce qui les sépare que ce qui les unit qui fait l’intérêt du groupe et du kaléidoscope de ses vins. En jargon marketing, plutôt que concurrents, ils sont complémentaires… Le grand public pourra en juger au Montreux Jazz Festival, qui reprend l’idée du bar à vins de Paléo, un succès, l’an passé, reconduit cet été.
Flacons tous azimuts
Plusieurs professionnels du vin militent pour un flacon suisse ou vaudois clairement identifiable. Et voilà qu’aux quatre coins du pays, des vignerons se signalent par une bouteille singulière. Encouragé par le fabricant Vetropack, à Saint-Prex (qui, au passage, investit 30 millions de francs dans un nouveau four plus performant), les vignerons de Chardonne ont leur bouteille. «Un agent commercial et visuel», selon leur président, Jean-François Neyroud, également membre d’Arte Vitis, destiné à capter l’attention des acheteurs «qui n’ont que quelques secondes pour repérer un produit sur un étalage». Les vins passent l’épreuve d’une commission de dégustation. Jusqu’ici, une quinzaine de vins de huit producteurs ont été acceptés, soit moins de 10% de la production de l’appellation de Lavaux, parmi les plus touchées par la grêle (lire ci-dessous). Des vins «authentiques, représentatifs de leur terroir» et valorisés au prix minimum imposé de 15 francs.
Trio de choc à Lutry
A Lutry, qui fut la plus vaste commune viticole de Suisse dans les années 1920, avant de céder du terrain (constructible) à la banlieue chic de Lausanne, l’Association viticole fête son centenaire cette année. Elle s’offre de nouvelles étiquettes, signées Oscar Ribes, qui a dessiné la ligne gagnante d’Alinghi, et met en pages les albums des grands chefs pour l’éditeur Pierre-Marcel Favre (l’an passé, Philippe Guignard, cette année, Carlo Crisci et l’an prochain, Denis Martin). Etiquette noire pour les vins de base, en teintes pastels pour d’audacieux assemblages (blanc, rosé et rouge), et pour les vins de prestige, de la ligne Orpheus, un raisin en gros plan qui ressemble à une grenade non dégoupillée! L’artificier, ici, est une femme, l’œnologue Laurence Keller, chose plus rare dans le vignoble vaudois qu’en Valais ou à Genève. Et le président de la petite coopérative (65 sociétaires pour 18 hectares) est un médecin, Jean-Charles Estoppey, qui se partage entre son cabinet de Cully, trois jours par semaine, et ses vignes de Lutry. Tout en gardant leur(s) personnalité(s), les coopératives de ces deux villages voisins vont mettre en commun une partie de leurs infrastructures. Le «marketing» ne dispense pas de l’efficacité dans le «back office», en cave ou à la vigne.

Eclairage
Une grêle peu profitable

Quand il gèle en Champagne, les «communicateurs» se fendent d’un message pétri de catastrophisme. Décodage: attention, le champagne va devenir rare, donc cher! 24 millions de francs ont été versés par l’assurance Suisse Grêle aux vignerons touchés par l’orage «historique» du 18 juillet 2005, au cœur de Lavaux. Sur 800 hectares, 125 ha ont subi un «dommage total». Cette catastrophe, qui oblige certains vignerons à faire l’impasse sur une récolte, ne servira pas d’argument marketing. Tout au plus, la rareté de certains vins (Saint-Saphorin, Dézaley, Chardonne) raffermit-elle les prix. Lavaux a perdu une demi-récolte (4 millions sur 8 millions de litres de vin). Cela ne pèsera guère sur le marché des blancs vaudois, qui se porte mieux que celui des rouges, puisque les stocks représentent 16 mois de consommation (contre 21 mois pour les rouges). L’idée d’une bouteille commune «Lavaux» proposée par les vignerons sinistrés à leur clientèle a capoté, sur la pression des négociants, dit-on. Les producteurs de plant-robert, un gamay de vieille extraction, réunis en cercle de qualité à Lavaux, ont différé la pose d’un label officiel. Mais Chardonne n’a pas renoncé à son flacon… (PT)

Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue du 13 avril 2006.