Courtion (FR) — Auberge de l’Etoile
Une trajectoire fraternelle
Les bonnes choses vont par deux, dans cette auberge des environs de Fribourg, direction Morat ou Avenches. Ses deux salles ont été reprises par «les frères Rapacchia», comme ils l’écrivent sur leur carte de visite, il y a bientôt deux ans (en octobre prochain).
Voilà donc le duo gentiment rodé pour accueillir leurs hôtes. Si la terrasse est vaste, à l’arrière de la maison, sous un gros marronnier, et complète les salles, les patrons n’ont pas l’intention de dépasser les cinquante couverts. En ce printemps frisquet, ceux-ci se répartissaient entre une salle au décor bistrot parisien et une salle boisée, au mobilier contemporain, ancien bar à whiskies. Depuis plusieurs mois, non-fumeurs, dans la première salle, et fumeurs dans la seconde, doivent choisir leur camp.
Des CV prometteurs
Au service, Daniel, 29 ans. Avec affabilité, il détaille carte et suggestion. Ce diplômé de l’Ecole hôtelière de Lausanne, volée été 2000, a effectué le début de sa carrière au Tessin, notamment au luxueux Eden Roc d’Ascona, avant de revenir dans la région fribourgeoise. Son frère, Paolo, 32 ans, est en cuisine, avec deux aides.
Les frères, nés à Fribourg, ont déjà travaillé en duo dans la même maison, à Fribourg, chez Pierre-André Ayer, à la Fleur-de-Lys, puis au Duc Berthold, à l’époque de Stéphane Mooser, qu’ils ont suivi à l’Auberge du Grand-Pin, à Peseux (NE). Avec une fin d’apprentissage chez Marcel Thürler, à La Tour-de-Trême, et un passage dans la brigade d’Alain Bächler, à Bourguillon, Paolo Rapacchia a fait le tour des toutes meilleures tables fribourgeoises. La mise à plat, dans l’assiette, de ce curriculum vitae flatteur ne déçoit pas. Certes, la carte est courte, mais suit les saisons, et un menu à 65 francs (49 fr. avec une seule entrée) la résume.
Des cuissons parfaites
A la carte, nous avons jeté notre dévolu sur un original carpaccio de veau à l’huile de noisette (16 fr.) et, parmi un choix de pâtes, sur des raviolis d’asperges (17 fr.), qui respectaient pleinement le goût du turion. En plat principal, le carré d’agneau (36 fr.), recommandé par Daniel, s’est montré d’une cuisson parfaite, rosé, tendre et goûteux, avec, pour seul bémol, une sauce un peu doucereuse, caramélisée au miel, qui contrastait avec les vifs aromates de la viande. Le thym soulignait aussi de belle manière un suprême de poularde (21 fr.) à la consistance idéale — tant ce morceau soufre trop souvent d’une cuisson sèche… Candidat au même sort, le râble de lapin à la moutarde (26 fr.), moelleux sous la dent, s’en tirait à son avantage. Frais légumes et excellent gratin de pommes de terre accompagnaient ces viandes. En dessert, hormis des sorbets à l’alcool, reliques campagnardes à la glace qui n’est pas «maison», un parfait au citron vert qui l’était, au-dessus de tout soupçon.
La carte des vins puise dans le catalogue de négociants locaux, mais est équilibrée, tant dans l’origine des flacons que dans le prix. Un bon point: le rapport qualité-prix s’avère remarquable au final. Ainsi, au café, le menu du jour est à 16 fr. et l’autre vendredi à midi, on s’y régalait de sandre au beurre blanc. Pour sûr, les jeunes frères Rapacchia marchent de conserve sous une bonne étoile.
La bonne adresse
Auberge de l’Etoile
Tél. 026 475 41 21
Fermé lundi et mardi
Vacances du 23 juillet au 17 août
Le flacon tiré de sa cave…
Sudiste passe-partout
Prenez un agneau et sa sauce suave : quel vin peut aller avec ? On a choisi judicieusement un rouge des Pouilles qui, à Courtion, marche fort. Le Mastroleo, marque commerciale qui dissimule un vin fort bien fait, distribué par les négociants en vins Pittet, père et (ses trois) fils à Epagny-Gruyères (FR) (www.pittetvins.ch). Un pur primitivo de sa région de prédilection, la petite ville de Manduria, dans la province de Tarente, dont le golfe occupe l’espace entre le talon et le pied de la botte italienne. Un vin rond, mûr (version 2003 !), riche (14° de rigueur dans l’appellation), aux arômes d’épices douces (cannelle) et de tabac blond, sur une acidité qui le soutient. Ca ne vous rappelle rien? Goûtez donc un zinfandel de la Côte Ouest des Etats-Unis. Même texture, mêmes arômes. L’explication est simple : primitivo et zinfandel sont jumeaux, nés sur l’île croate de Krk où le cépage est connu comme «crijenak». Il a fallu une recherche en paternité par ADN de l’Université de Davies (Californie) pour trancher la venimeuse controverse entre Italiens et Américains renvoyés dos à dos.
Paru dans Le Matin-Dimanche du 4 juin 2006.