2009, les vins suisses veulent rebondir
Concentration ou «small is beautiful»?
Les vins suisses
veulent rebondir
Par Pierre Thomas
Parler de vins suisses, c’est se concentrer sur les deux plus grands cantons producteurs, le Valais et Vaud. En surface (5’100 hectares, respectivement 3’800 ha), comme en production (41 millions de litres, respectivement 29 millions en 2008), ils «pèsent» 60% du vignoble suisse et 70% de la production. Deux tiers de leurs vins sont bus hors de la Suisse romande, en Suisse alémanique.
Les grands… grandissent
En deux ans, deux commerces réputés ont été rachetés par plus important qu’eux : l’an passé, Badoux, à Aigle, passait dans le giron de la holding Schenk, à Rolle, par le biais de sa société fille, Obrist, à Vevey. Et ce printemps, Charles Bonvin Fils, à Sion, a été reprise à 80% par les frères Rouvinez à Sierre. Ce faisant, les deux groupes ont renforcé leur position. L’entreprise vaudoise est le plus gros négociant de Suisse. Par le biais de ses sociétés et domaines entre La Côte et le Chablais, elle est aussi le plus grand producteur de vins vaudois. Grâce à Maurice Gay, aux Caves Saint-Pierre et Saint-Georges et au Domaine du Mont-d’Or, elle se place au troisième rang des producteurs valaisans, derrière la coopérative Provins-Valais et Rouvinez-Orsat.
Partis, il y a trente ans, de quelques arpents à la colline de Géronde, près de Sierre, les frères Jean-Bernard et Dominique Rouvinez avaient réalisé un gros coup en rachetant Orsat, il y a onze ans. Cette opération leur a permis de mettre la main sur des domaines bien situés en Valais. Ensuite, ils ont absorbé Imesch, à Sierre, devenu une ligne de vins. Mais Bonvin, assure Jean-Bernard Rouvinez, restera une société indépendante dans le groupe. L’apport des 20 hectares des domaines Bonvin porte à 110 ha ses propriétés en Valais. De son côté, Provins-Valais accentue la professionnalisation du travail viticole en se chargeant, par contrat de longue durée, de toutes les tâches sur 270 ha des 1150 ha que la coopérative contrôle par le biais de ses 4250 sociétaires.
Des moyens s’en sortent mieux
Est-ce dire qu’à l’avenir, la concentration est la seule voie du vin suisse? Pour répondre à la question, il faut aller voir du côté des plus menacés — l’agneau étant, souvent, plus loquace que le loup… Ainsi, la Cave de Bonvillars, dans le Nord vaudois. Sa directrice, Sylvie Mayland, explique qu’il n’y aura «jamais de la vie» un regroupement de coopératives vaudoises, comme en Valais. Question de mentalités, mais aussi d’ancrage dans un terroir éclaté aux quatre coins du pays de Vaud. Au bord du gouffre en 2004 — les sociétaires avaient dû faire une croix sur le paiement de deux années de vendange ! — la Cave de Bonvillars a réussi à redresser la tête et à investir dans des cuves à vin rouge et une nouvelle réception du raisin, battante neuve.
Ce million de francs dégagé ne pèse certes pas lourd face aux 24 millions de francs investis par Provins-Valais à Sion. Un chantier gigantesque, avec l’aménagement d’un magasin de vente high tech. Ce nouvel espace d’exposition-vente (complétés par des locaux du même style à Leytron et Sierre) ne sont que la face visible de l’iceberg. A l’arrière du bâtiment sédunois, une halle abrite une soixantaine de cuves rutilantes en inox. Ces jours, toute la vinification est centralisée en ce seul lieu, y compris l’élevage des vins blancs, et surtout des rouges, dans un parc de 1’500 barriques. Une rationalisation indispensable pour dégager de la plus-value, dans des vins à la fois d’entrée, de moyenne et de haut de gamme.
Moderniser les caves ? Trop coûteux !
Mais toutes les caves ne peuvent se payer pareille infrastructure. A Treytorrent-en-Dézaley (VD), le Haut-Valaisan Tobias Mathier constate : « En Suisse romande, les infrastructures des caves datent de trente ans. A l’avenir, il n’y aura plus d’argent pour réinvestir et amortir.» Testuz, repris en délicate posture financière il y a trois ans, avec une héritière de la famille, un avocat d’affaires lausannois et son jeune directeur, veut continuer à commercialiser ses produits par son propre réseau, y compris en Suisse alémanique. «Mais pour rentabiliser notre outil de production, nous devons grandir et chercher des partenariats avec de plus petits que nous.» Déjà, un vigneron de Lavaux sous-traite l’élaboration de son vin et, depuis cette année, deux coopératives du Chablais vaudois, de Bex et d’Ollon, ont confié à Testuz le soin, pour la première, de vinifier ses vins, pour la seconde, de les mettre en bouteilles. «Les petites caves où un couple et un employé suffisent à tout faire pourront subsister, mais ce sera difficile pour des entreprises d’une dizaine d’employés, dans un marché toujours plus dur, surtout si la consommation de vin continue à baisser», pronostique Tobias Mathier.
Produire du raisin, ça eût payé…
S’il est difficile d’accréditer cette tendance, le rapport VITI 2015, commandé par l’Etat du Valais au professeur d’économie de l’Université de Lausanne Bernard Catry, pose des chiffres. En 2007, 23% des 40 millions de litres produits en Valais ont été vinifiés dans des caves produisant moins de 100’000 litres, 34% jusqu’à 1 million de litres et 43% au-delà. En clair, Provins et les dix plus gros négociants du Valais représentent déjà près de la moitié de l’encavage. Du coup, la moitié des 800 viticulteurs professionnels n’ont qu’un seul acheteur pour leur raisin. Une situation d’autant plus délicate que l’étude démontre que le seul qui ne gagne pas sa vie, dans la filière du cep au verre, c’est le vigneron. Ce déséquilibre met en péril l’existence même de la vigne dans le principal canton vitivinicole suisse, qui est aussi le seul où le raisin représente 54% du produit agricole. Pour y remédier, le professeur Catry suggère de hausser le niveau de qualité et de prix des vins valaisans.
«Dire que tout ira bien en vendant une bouteille de vin 1 franc de plus pour redonner 60 centimes au vigneron me paraît un peu simpliste», sourit Jean-Bernard Rouvinez. «Nous sommes déjà un pays qui paie le raisin cher. Voyez le Piémont : le raisin y est acheté à deux euros (3,20 fr.) et le Barolo se vend 60 euros (96 fr.) la bouteille ! On ferait mieux de baisser les coûts de production, de favoriser les regroupements de parcelles et d’encourager le partage de machines, et d’encourager l’œnotourisme.»
Valais: pas de prix fixé
à la veille des vendanges!
Le deuxième encaveur du Vieux-Pays réclame aussi une «gestion de l’offre» par l’instauration d’un «plafond limite de classement» (PLC), une formule qui gèle la rétribution d’une partie de la vendange, en cas de nécessité économique. Entre viticulteurs sous-payés et négociants qui tiennent le couteau par le manche, le torchon brûle en Valais : ces partenaires n’ont pas réussi à fixer un prix du kilo de raisin avant les vendanges, rendant ainsi l’avenir incertain. A Rolle, le directeur de Schenk SA, André Fuchs, résume l’enjeu : «En Suisse, il faut régler la production sur la consommation, aujourd’hui autour de 100 millions de litres de vins indigènes, sinon le marché est déstabilisé. On a vite trop de marchandise ou pas assez. Ces dernières années, nous avons approché l’équilibre. Les tensions sont moins grandes. Chaque canton a eu ses problèmes… Mais il reste un manque d’unité dans la profession.»
Bonne nouvelle tout de même : mise en veilleuse il y a trois ans, une interprofession nationale devrait renaître d’ici novembre. Elle regroupera les deux «familles» vitivinicoles, la production, d’une part, et l’encavage, le négoce et les coopératives, d’autre part, en plus des interprofessions cantonales et régionales. Et si le précédent groupement voulait se fédérer autour «du vin suisse», le nouveau a choisi le pluriel : «Interprofession des vins suisses». Certains y voient la porte ouverte au déballage stérile de divergences plutôt que la promesse de solutions communes.
Paru dans PME Magazine de septembre 2009.