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Posted on 23 juin 2019 in Tendance

La vigne à la télé : encore une rasade !

La vigne à la télé : encore une rasade !

Ce lundi 24 juin, d’abord en projection dans un cinéma de Vevey, ensuite sur RTS Deux à 22 h. 05, le cinéaste Florian Burion présentera son dernier «opus» d’une heure, le documentaire «Cépages rares : un patrimoine suisse».

Par Pierre Thomas

Il y a quelques mois, il avait déjà construit «Chasselas for ever», une ode au cépage que le généticien valaisan José Vouillamoz refuse à classer comme suisse pour la bonne raison que lorsqu’il naquit de père et mère inconnus dans les vignes sans doute lémaniques, la Suisse n’existait pas. Et que les rives du Léman étaient savoyardes, avant l’occupation par les Bernois. Le brillant scientifique, qui sera élevé mercredi prochain au grade «Commandeur des vins vaudois», aurait pu servir de fil rouge de la nouvelle bobine de Burion. Car l’essentiel de la trame du film est tiré de «Cépages suisses, histoires et origines», de Vouillamoz, paru chez Favre en 2017. Pour éviter une filiation si naturelle, le cinéaste préfère s’égarer dans les vignes tessinoises, avec Stefano Haldemann, qui a constitué son propre conservatoire de vieux cépages locaux.

Au fond, à quoi bon parler de «cépages rares» ? La réponse tombe après la mi-temps, à la 32èmeminute, par le vigneron sierrois Serge Heymoz, un des rénovateurs de la rèze : il faut conserver les anciens cépages rares pour autant qu’ils fassent de bons vins… Mais comme dans «Chasselas for ever», le cinéaste reste éloigné du produit final : le raisin, pourtant, quand il est destiné à la cuve, n’a d’intérêt pour le consommateur que sous la forme de son jus fermenté, vinifié et élevé ! Le cinéaste s’en tient ainsi au précepte de la Confrérie des Vignerons : «Le raisin, une fois entré en cave, n’a jamais fait l’objet de l’expertise de la Confrérie», rappelle un petit ouvrage qui vient de paraître dans la collection Savoir suisse, à lire d’urgence avant la toute prochaine Fête des vignerons (c’est son titre : «La Fête des vignerons de 1797 à 2019»).

La bondola du Tessinois Giorgio Rossi et le completer du Grison Martin Donatsch donnent des vins passionnants, dûment consignés dans la Mémoire des vins suisses. Et les Chanton père et fils perpétuent de vieux cépages du Haut-Valais. L’exemple le plus intéressant reste ce jeune vigneron lucernois de Hitzkirch qui a décidé de replanter dans son village le cépage qui porte son nom (hitzkircher).

Le film utilise le décor (belles images inévitables !) et aussi l’astuce technique de montrer en accéléré comment pousse la vigne — un tour de force technique et une forme de non-sens aussi, la vigne étant l’éloge de la lenteur, mais qui fait de l’effet !

Dans la deuxième partie du film, la plus intéressante, on voit comment Jean-Laurent Spring, l’obtenteur d’Agroscope Changins-Pully, développe les «nouveaux cépages», les croisant avec ses doigts (de fée). Quel vin donneront ces cépages ? Là encore, pas de réponse dans le film… Comme le scénario retombe sur ses pattes en reparlant du chasselas, variété de cuve rare propre à la Suisse romande, on subodore déjà le prochain «opus» pour clore le triptyque : chasselas, cépages rares… et variétés nouvelles. Sauf que là encore, c’est le goût du consommateur qui fera la différence : si les nouveaux cépages, notamment ceux résistants aux maladies, comme le Divico et le Divona, s’imposent sur le marché, l’avenir d’une viticulture désormais «naturellement» respectueuse de l’environnement sera assuré…

On ne parle donc pas — ou si peu ! — de vin dans cette heure documentaire sur la liane vigne. Et je me demande si la dérive de la tomate jusqu’à l’abominable hors-sol, ou la saga des fraises, de la gariguette à la mara (des bois), ne seraient, finalement, pas tout aussi vibrionnantes que celle du mara (frère du gamaret et du garanoir)… 

Ce documentaire n’a ni l’intérêt, ni le rythme de la très intéressante série de David Rihs «une année à la vigne, les domaines du possible», diffusé ces quatre derniers vendredis à cheval sur mai et juin en «prime time» sur RTS Un (et visible encore quelques semaines en streaming) : des images magnifiques bien sûr, mais surtout des acteurs (les vigneron/nes eux-mêmes) convaincants et passionnants, même s’il ne s’agissait pas de dégustation. On imagine bien que le rendu visuel de ces joutes de spécialistes n’est pas des plus palpitant, sauf pour les amateurs de propos de carnotzet. Il n’empêche: l’intérêt de ces raisins-là passe par le vin. Et c’est bien parce que cette finalité est (re)connue qu’on parle autant de cépages, anciens, oubliés, internationaux ou nouveaux…

©thomasvino.ch