Pression sur les vins suisses : ça chauffe vilain !
Dans une vidéo postée sur Facebook, un viticulteur genevois de Satigny (la plus vaste commune viticole suisse), Lionel Dugerdil, en appelle à la démission du conseiller national radical vaudois Frédéric Borloz. Il est reproché au président de la Fédération suisse des vignerons de ne pas défendre avec assez de fermeté les troupes qu’il représente à Berne.
Par Pierre Thomas
La Fédération vaudoise des vignerons relaie l’information et demande «à ceux qui ont écrit à Frédéric Borloz sur l’invitation de la video (qui affichait son adresse e-mail au Parlement) de réécrire au président de la FSV pour s’excuser». Les Vaudois sont invités à adhérer à la Fédération vaudoise des vignerons pour «défendre leurs opinions dans notre fédération représentative de la branche et unie pour le bien commun».
De son côté, dans un communiqué émis à Yens (VD), le groupement «Les raisins de la colère» se félicite de la résolution adoptée par le Grand Conseil valaisan, à l’appel de Mathias Delaloye, «jeune député UDC au Grand Conseil», pour soutenir les appels sous la Coupole fédérale pour endiguer la pression étrangère sur les vins indigènes.
Obliger les importateurs à vendre des vins suisses
Plutôt qu’une renégociation ouverte du contingent d’importation avec l’OMC, il s’agirait d’appliquer l’article 22, alinéas 3 et 5 de la loi sur l’agriculture. Il s’agit, dans cet article, de tenir compte «de la prestation fournie en faveur de la production suisse». Et l’alinéa 3 précise qu’«on entend notamment la prise en charge de produits suisses similaires de qualité marchande» et l’alinéa 5 enjoint «de fixer les critères concernant la répartition des contingents tarifaires».
La conseillère aux Etats PDC valaisanne Marianne Maret relaie cette argumentation dans une motion. Si on comprend bien qu’on peut contraindre les grands importateurs de vins étrangers (et distributeurs) que sont Coop, Migros-Denner (à eux deux, 60 des 150 millions de litres importés), suivis d’Aldi et de Lidl à vendre des vins suisses — encore faudrait-il démontrer qu’ils n’en vendent pas suffisamment: la part des vins suisses en supermarché est de 27,5%, 52% en blanc et 17,4% en rouge ! —, la question est plus délicate pour de petits importateurs qui ne commercialisent que des vins étrangers, soit pour 30% du volume importé. Pour Mme Maret, «un volet de la promotion des vins suisses pourrait leur être alloué, financé par exemple par un fonds viticole constitué d’une contribution fixée par bouteille commercialisée.» C’est, soit dit en passant, une manière de «droit d’accise» dont personne ne veut entendre parler, parce que ce système exige que tous les vins mis sur le marché soient logés à la même enseigne, vins indigènes et importés… Un tel «pot commun» pourrait servir à faire davantage de promotion pour les vins suisses et regagner des consommateurs.
Au bon vieux temps du GATT
Quelle mémoire ont les tenants du retour au protectionnisme ? Cité par le futur docteur en administration publique Melaine-Noé Laesslé en 2014 dans un mémoire de l’UNIL-IDEAP, «au tournant des années 1980, les importations de vins ont augmenté de 35% par rapport aux années 1960, portant à plus de 58% la part des vins étrangers consommés en Suisse». Aujourd’hui, on en est à plus de 63%. Mais, en raison du protectionnisme, les rouges importés sont à hauteur de 78% et les blancs à 14% seulement, «fluctuant fortement au gré des faibles récoltes indigènes».
A cette époque, alors que le GATT, fondé en 1966, interdit les limites quantitatives aux importations, la Suisse obtient une «dispense explicite, permanente et illimitée» d’appliquer cette disposition et peut maintenir des restrictions quantitatives à l’importation fondées sur diverses lois internes. Mais la Suisse «doit faire des concessions sur des produits industriels — et aussi agricoles — pour obtenir ce statut», note Pascal Sciarini, futur professeur à l’Université de Genève. Ensuite, en 1972, dans un accord avec la CEE (l’ancêtre de l’Union européenne), la Suisse a dû accepter des accords «définissant un quota minimum d’importation indépendant des besoins du marché indigène» avec l’Italie et la France et, plus tard, avec l’Espagne.
Néanmoins, la Suisse, durant les années 1980, parvient à maintenir les permis d’importation, les droits de douane (équivalent à 20% de la valeur des marchandises, selon Daniel Gay, le spécialiste du défunt «statut du vin»), une taxe à l’importation pour les vins en vrac (alimentant précisément un «fonds viticole destiné au soutien de la production nationale» dissout depuis), l’interdiction d’importer les vins blancs «de consommation courante». Et d’écrire : «Ce segment inférieur de la production viticole suisse est ainsi totalement protégé de la concurrence étrangère.» Et, finalement, un contingentement compliqué et discutable dans son fonctionnement, réparti entre les importateurs en gros, les négociants et les distributeurs qui, à cette époque, ne représentaient que 16% des parts du contingent, devant s’approvisionner chez les précédents (42 des parts chacun). Ce système de répartition finit par engendrer des «importateurs de salon» qui revendaient non pas du vin, mais leur droit d’en importer, malgré l’interdiction de cette pratique par la législation sur le vin. Ces conditions, autant de cautèles à un marché libre, n’empêchèrent pas les importations de croître de 35% entre 1960 et 1980. Mais pour l’universitaire de 2014, «la différenciation des vins suisses se fait essentiellement par le prix, vis-à-vis d’une concurrence étrangère en pleine croissance depuis vingt ans.»
La main mise des distributeurs et des prix tirés vers le bas
Aujourd’hui, ce qui a changé, c’est que les distributeurs sont devenus essentiels sur le marché suisse, tant pour la production nationale que pour l’importation, où ils se passent des importateurs ou négociants et importent en direct. En avril, ils l’avaient fait massivement pour des vins étrangers à très bas prix, comme on l’a souligné. Mais l’image s’est inversée : les vins étrangers sont de bonne qualité et à bas prix. Et pour les rouges, par la faute d’un protectionnisme réservé au vin blanc courant — aujourd’hui dédaigné… —, en 50 ans, les consommateurs suisses se sont habitués à des goûts qui leur sont devenus familiers, pour des vins importés principalement d’Italie, de France et d’Espagne. En 40 ans, la proportion de vins importés a relativement peu varié (de 5% au détriment des vins suisses!), tandis que la consommation a chuté, même si la Suisse reste un des leaders mondiaux de la consommation «par tête», touristes (étrangers) compris, soit 30 litres par an.
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