Pages Menu
Categories Menu

Posted on 8 novembre 2019 in Récemment dégusté

Le prix n’a pas de terroir : notes et notules

Le prix n’a pas de terroir : notes et notules

A lire ce titre, vous devez vous dire que l’auteur s’est mélangé les pinceaux. Ne voulait-il pas plutôt écrire : «Le terroir n’a pas de prix» ? Eh bien non ! Avec quelques exemples de flacons récemment dégustés, notés sur 100, quasi à la volée ! Un voyage du Vully au Yunnan chinois en passant par le Douro et le Valais.

Par Pierre Thomas («newsletter» de thomasvino, novembre 2019)

Premier exemple, deux vins de (très) haut de gamme de la famille Simonet, dans le Vully. On ne peut évidemment pas nier que le Vully, 150 ha, deux tiers fribourgeois, un tiers vaudois, n’a pas de «terroir», basé sur le climat et le sous-sol, en l’espèce du grès et des marnes, calcaires tous les deux. Ni même de méthode culturale, ici, de la biodynamie sur des vignes âgées de 10 à 35 ans. Quant au climat de 2015, grande année solaire, il a été sec, permettant une vendange à haute maturité.

L’œnologue Fabrice Simonet m’a soumis deux vins. Le 2ème vin du Petit Château, Associé, et le 1er Grand Vin, Initial. On a bien aimé l’ouverture, la richesse, la sapidité et la texture très méridionale, à l’italienne, d’Associé, avec des notes balsamiques, marquées par le long élevage en barriques (36 mois, 100% bois neuf). Trois cépages entrent dans la composition de ce vin : un tiers de diolinoir, un tiers de syrah et un tiers (un peu plus restreint…) de merlot. Voilà un vin plus prompt à boire que l’Initial, longuement élevé de la même façon. On y retrouve les trois cépages d’Associé, mais avec un apport dominant de 40% de cabernet sauvignon (pour 25% de merlot, 20% de diolinoir et 15% de syrah). On est sur quelque chose de beaucoup plus massif, puissant, avec des notes légèrement végétales du cabernet.

Les efforts et prises de risque sur la maturité, l’élevage et aussi les relations publiques (j’ai reçu ces deux flacons) se répercutent sur le prix au public : 65 fr. pour Associé et 97 fr. pour Initial. Les notes ? 92/100 points à Associé et 93 points au potentiel d’Initial, aux tanins fermes et encore austères. Des vins à déguster entre le 25.11 et le 1.12 sur place, à Môtier (Vully) — il faut s’annoncer !

Ces deux vins détonnent dans le paysage suisse et du Vully ! Je ne les comparerais pas à des bordeaux, mais plutôt à des supertoscans ou à des vins du Priorat, qui s’autorisent, parfois, des assemblages improbables, ou alors ce Douro de Bruno Prats et de la famille Symington, Chryseia, dont j’ai dégusté récemment à Lausanne le très frais 2012 (95/100) et le très puissant 2017 (93/100 vendu 85 fr.). C’est là un excellent exemple de «mariage» de terroir local (Quinta de Roriz) et ces cépages, tourigas nacional et franca, et du savoir-faire, dans l’extraction et l’élevage, classique bordelais (mais en fûts de 500 litres plutôt qu’en barriques de 225 l.)…

Ce que s’autorise le Vully, petite région méconnue à cheval entre les Suisses romande et alémanique, le Valais peut le faire, évidemment… Il y a quelques années que l’on parle de «supervalaisans». La démarche du Clos Tsampehro, sous le même toit que la Cave de La Romaine, de Joël Briguet, à Flanthey (30 ans de vinifications cette année !), procède des mêmes intentions de haut de gamme. L’équipe flirte avec le bio (en reconversion Bio-Suisse bourgeon dès 2020, mais avec un suivi des principes de la biodynamie et une adhésion prochaine à Biodivin, plutôt que demeter) et revendique des rendements faibles pour son «porte-drapeau», un assemblage rouge, vendu de 69 fr. à 84 fr., de la vente en primeur à une bouteille qui a un millésime de conservation supplémentaire en cave. Tirage : entre 5500 et 6500 bouteilles.

Les œnologues qui suivent le projet (en plus de Joël Briguet, Vincent Tenud et, nouvelle arrivée, la future Master of Wine Johanna Dayer) ont mis la pédale douce sur le bois neuf (30% sur des demi-muids de 600 litres, plutôt que des barriques de 225 litres) pour un élevage de 24 mois. L’assemblage varie un peu d’un millésime à l’autre, avec prédominance de cornalin, avec du merlot, vinifiés séparément, et les deux cabernets (sauvignon et franc), vinifiés ensemble. Un mixte de cépages valaisan et bordelais…

Le domaine affiche ses millésimes en chiffres romains : pour cette décennie, c’est facile, puisque VII veut dire 2017. Un vin jeune, fait de 40% de cornalin, 30% de merlot et 30% de cabernets… avec une attaque fraîche, du fruité en bouche, avec des petits fruits des bois rouges, des tanins fins, une aromatique intéressante, mais une pointe de végétal en finale — du moins à ce stade. L’influence des millésimes est nette : le VI (2016) est plus violacé, avec un beau volume, des notes de café et de chocolat, des tanins fermes, une belle dynamique et de la fraîcheur — un vin étonnamment jeune. Quant au Rouge V, 2015, avec du merlot à hauteur du cornalin, le nez est ouvert, la matière riche, puissante, avec des notes de chocolat et un peu de pruneau, et une empreinte du bois, avec des notes de cèdre, et une évolution positive. C’est aussi le plus alcooleux, avec 14,2% contre 13% pour le VII. Mes notes pour ces vins : 90/100 pour VII, 93 pour le VI, et 91 pour le V.

Mais s’il faut parler de «terroir» du Clos, c’est plutôt les blancs qu’il faut viser : un rarissime Completer (98 fr. la bouteille). Et un assemblage, calqué en matière de millésimes, sur le rouge, et fait de heida-païen et de rèze : le VII (92/100) révèle un nez vanillé, sur des fruits blancs, de la poire williams, puis de la mirabelle en fin de bouche, du gras, de la puissance et de l’harmonie. 2200 bouteilles au prix de 44 fr. Là encore, belle tenue du Blanc VI (2016 – 93/100), avec un boisé fondu et une belle acidité, malgré la richesse du vin. Le III (90) a déjà des notes d’évolution sur le miel et la cire d’abeille. Le II (91) surprend par son nez d’allumette frottée, de silex, un milieu de bouche presque huileux, mais une belle acidité qui le (main)tient, avec une évolution moindre que le III. Et un très élégant mousseux, passé, pour sa quatrième version, à 42 mois sur lattes. Assemblage insolite de chardonnay (des clones du Jura ont été replantés…) à 50%, de petite arvine (30%) et un peu de pinot noir. 1200 bouteilles à 38 fr. et un score à 90/100.

Ces vins méritent d’être jugés à l’épreuve du temps. Seul regret : il y a bien eu une caisse composée de plusieurs millésimes, mais tirée à 20 exemplaires seulement, l’an passé. Contre, par exemple, 300 caisses pour 6 millésimes de Syrah Cayas (2010-2016) mises sur le marché par Jean-René Germanier et Gilles Besse — une excellente initiative pour cette syrah qui a su s’installer durablement dans le paysage valaisan ! Elle était finaliste du Grand Prix du Vin Suisse 2019.

Au retour de Flanthey, le sommelier Jérôme Aké a tenu à faire une halte à la Cave Tsaline, à Vétroz (VS). Antonio Pinho travaille 20 ha entre Sierre et Leytron, avec des vignes à Conthey aussi. Il affectionne les vins monocépages, «à 100%» tient-il à préciser (en écho à cet œnologue qui me disait un jour : «en Valais, on ne fait que des assemblages, avec 15% de ceci ou de cela, sauf pour le fendant !») et des élevages en barriques, généralement de plusieurs années (peu de bois neuf). Là aussi, de l’ambition avec le Bac 351, soit le 351ème bac à vendange rentré en 2016, du cabernet sauvignon, «marié» avec de la syrah. Une cuvée bicépage à 74 fr., tirée à 5000 bouteilles (90/100). Beaucoup de fraîcheur, une touche de mentholé et de végétal, avec des notes de tabac et de fumée froide, de la puissance, mais aussi des tanins fins : 2016 se confirme comme un millésime surprenant, qu’on a sous-estimé, entre les riches 2015 et 2018, très favorables aux rouges.

Revenons à 2017, avec un Valaisan, mais à l’autre bout du monde. J’ai dégusté avec deux grands connaisseurs de l’univers du vin, qui le découvraient à l’aveugle et n’ont su où le placer sur la mappemonde, le 2017 d’Yves Roduit, produit dans le prolongement du Tibet, en Chine, dans son domaine appelé Yi Lian. (Lien ici sur son clip de présentation) Voilà un cabernet sauvignon d’altitude (des parchets entre 2200 et 2700 m.), bien mûr, bien élevé, séduisant au nez, sans notes végétales, même si le cassis revient en fin de bouche, frais et puissant à l’attaque, de la puissance en milieu bouche et de l’élégance aussi, avec une finale persistante, bien soutenue par l’acidité. Un très joli vin (que je note 93/100), élaboré en jarres de terre cuite tibétaines, puis élevé 15 mois en fûts de chêne. En 2018, Yves Roduit a tenté le passerillage du raisin, style amarone, pour un vin encore en élevage. Tout est vendu (prix public : l’équivalent de 150 francs suisses) — mais il n’y en a que 3’000 bouteilles. Et pas (encore) d’export ! En 2019, la récente vendange devrait donner six fois plus de vin. Avec sa jeune épouse Leina, Yves Roduit le fait déguster dans les grandes villes. Après l’avoir rencontré sur place, à Benzilan, sur les bords du haut Mékong, je l’ai revu à Pékin, à l’ambassade de Suisse… et il était ces jours à Shanghai. Une belle aventure que je m’efforcerai de suivre ces prochaines années.

Et puis, j’ai retrouvé mes notes des vins du Domaine de l’Apocalypse à Patmos. Josef Zisyadis m’avait fait déguster les trois millésimes d’un domaine qui, avec son oenologue sur place, Dorian Amar, prend sa vitesse de croisière. Rappel: il n’y avait plus que quelques ceps de vigne quand les Vaudois (quelques éminents vignerons de La Côte…) sont allés replanter de l’assyrtiko sur l’île, le cépage (blanc) qui fait la renommée des vins de Santorin. Premier vin, le 2016, a pris une couleur cognac, a gardé sa sucrosité originelle, mais a gardé une belle acidité — milieu de bouche tirant sur les épices douces et les herbes sèches (85/100). Le 2017 a quelques reflets cuivrés, une attaque puissantes avec du gras, de la matière, et même des tanins, avec des herbes sèches en finale (88/100). Et le 2018, dernier arrivé (4500 bouteilles au total, 22 fr. en direct), vieil or, se révèle rond et crémeux à l’attaque, avec des notes de fruits jaunes, de mirabelle, de la richesse (14% d’alcool, 2 g de sucre), une acidité rapicolante, et une finale sur les raisins de Corinthe et la marmelade d’orange (90/100). Là encore, l’aventure continue…

©thomasvino.ch